A ce jour, huit candidats ont pris des engagements en réponse à nos 7 propositions. Avant le premier tour de l’élection présidentielle, nous publions ces engagements, thème par thème, afin de permettre aux électeurs de comparer les programmes des candidats dans le domaine de l’éthique de la vie publique. Les engagements pris en réponse à nos propositions sur les conflits d’intérêts, l’indépendance de la justice, l’inéligibilité des élus condamnés pour corruption, le contrôle citoyen, le lobbying, l’indépendance de l’expertise et le cumul des mandats ont également été publiés.
Revenons aujourd’hui sur la proposition portant sur l’indépendance de la justice. Cette proposition, qui comporte deux volets, vise à mettre la justice à l’abri des interventions de l’exécutif dans les affaires politico-financières. Nous proposons, tout d’abord, d’instituer un « Procureur Général dela Nation » (PGN), incarnant une autorité judiciaire forte et indépendante, capable de résister aux interférences du pouvoir politique. Par ailleurs, nous proposons de renforcer l’impartialité de la procédure de classification « secret défense » en donnant un pouvoir de décision à la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN). Cette mesure doit permettre d’éviter un usage abusif du secret défense comme, par exemple, dans l’affaire des frégates de Taiwan.
Si l’ensemble des candidats reconnaissent la nécessité d’une justice indépendante, les avis divergent fortement quant aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif. Alors que certains candidats soutiennent notre proposition de créer un Procureur général de la Nation (Eva Joly et Jacques Cheminade), d’autres mettent en avant des solutions différentes. François Bayrou propose par exemple de créer un statut particulier pour le ministre de la Justice, dont la nomination serait soumise à l’approbation du Parlement. François Hollande souhaite réformer le mode de nomination des magistrats du parquet pour l’aligner sur celui des magistrats du siège et réformer le Conseil supérieur de la magistrature « afin de le soustraire aux influences politiques ». Nicolas Sarkozy s’oppose à la création d’un Procureur Général de la Nation qui n’aura pas, selon lui, de « légitimité démocratique ». Nicolas Dupont-Aignan insiste sur la nécessité de renforcer les moyens dont disposent les juges d’instruction. Enfin, le Front de Gauche préconise l’instauration d’un Conseil de Justice – aux modalités différentes de celles de l’actuel Conseil supérieur de la magistrature –, chargé de nommer les magistrats du siège et du parquet. Seul Philippe Poutou ne se prononce pas.
Concernant le secret défense, seul Nicolas Sarkozy s’oppose à notre proposition et rappelle que le Conseil constitutionnel a validé le dispositif issu de la loi de programmation militaire de juillet 2009, excepté sur la problématique très spécifique des lieux classifiés.
Détail des réponses des candidats :
François BAYROU, MoDem : OUI mais
Je propose que le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, devienne un ministre de statut particulier dont la nomination proposée par le Premier ministre et le Président de la République sera soumise à l’approbation d’une majorité qualifiée du Parlement devant qui il sera responsable et par qui il pourra être censuré. Doté de cette légitimité renforcée, il conduira au nom du Gouvernement la politique pénale de la Nation. Cette procédure de nomination me paraît devoir assurer l’indépendance totale de la Justice par rapport aux autres pouvoirs, par rapport à la pression des autres pouvoirs. Cette proposition sera également soumise au référendum du 10 juin.
Jacques CHEMINADE, Solidarité et Progrès : OUI
Ces deux propositions – instituer un « Procureur général de la Nation » et éviter l’usage abusif du « secret défense » – vont tout à fait dans le sens de la réforme de la justice que je défends : création d’un véritable pouvoir judiciaire et non en rester à une « autorité » soumise à l’influence directe ou indirecte de l’exécutif.
Nicolas DUPONT-AIGNAN, Debout la République : NON et OUI
Loin de moi l’idée d’aller à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs si cher à Montesquieu, mais j’estime que le parquet – dont le rôle est de défendre les intérêts de la société, l’ordre public et l’application de la loi – peut rester soumis au pouvoir hiérarchique du Garde des Sceaux. C’est le fruit de notre tradition judiciaire. Mais cela n’est possible qu’à la condition que le juge d’instruction ne soit pas supprimé !
Bien au contraire, le juge d’instruction devra être doté de moyens plus importants et son indépendance renforcée.
En tout état de cause, il faudra effectivement renforcer la procédure de classification « secret défense ».
François HOLLANDE, PS : NON et OUI
Si je suis partisan de renforcer l’impartialité de la procédure de classification « secret défense » comme vous le proposez, l’instauration d’un Procureur général de la Nation, dont la pertinence est sujette à discussion, ne constituerait pas, selon moi, la garantie d’une réelle indépendance du Ministère public.
Si je suis élu président de la République je proposerai une réforme du mode de nomination des magistrats du parquet pour l’aligner sur celui des magistrats du siège. Les magistrats du parquet seraient ainsi nommés comme ceux du siège sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature qui devra faire, lui aussi, l’objet d’une réforme afin de le soustraire aux influences politiques.
Eva JOLY, EELV : OUI
J’estime que le Parquet doit être profondément réformé et son indépendance assurée. Les empiètements réguliers du pouvoir politique sur l’action des procureurs et la main mise du pouvoir politique dans la gestion des carrières constituent des atteintes à l’indépendance des magistrats. Pour rétablir une indépendance pourtant constitutionnellement garantie, il convient de rompre tout lien organique entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. C’est pourquoi je souscris à l’idée d’un Procureur général de la Nation, élu par le Parlement à une majorité qualifiée.
Concernant l’usage du secret défense nous pensons qu’une politique internationale et de sécurité devra également encadrer strictement le secret défense d’État. Le contrôle démocratique de cette politique doit s’exercer au sein des parlements, avec des consultations ouvertes aux ONG spécialisées. Cela implique le démantèlement de la cellule Afrique et l’instauration d’un contrôle parlementaire des décisions militaires de l’Élysée.
Le Front de Gauche, pour Jean-Luc MELENCHON : OUI
La justice n’est pas un pouvoir autonome dans la Constitution. C’est ainsi que son indépendance n’est pas totalement reconnue dans les textes et se trouve constamment bafouée dans leur application.
Il convient de poser de manière forte le principe de l’indépendance de la justice, non pas au profit des juges, mais comme gage de démocratie et d’équilibre des pouvoirs. Il faut définir les conditions permettant de rendre effective, au-delà des pétitions de principe, cette indépendance.
Plutôt que par l’institution d’un procureur général de la Nation, dont les missions, le mode de nomination et les conditions de la légitimité restent à penser, le Front de Gauche estime qu’une réelle indépendance de la justice passera par la création d’un Conseil de Justice, dont les représentants extérieurs seront élus par le parlement dans des conditions évitant les nominations partisanes, et les représentants des magistrats au scrutin proportionnel garantissant que ne soit pas surreprésentée au sein de cette instance, comme c’est le cas actuellement, la hiérarchie judiciaire. Ce Conseil procédera à la nomination de tous les magistrats, du parquet comme du siège, mettant un terme à l’influence du pouvoir exécutif sur leurs carrières.
Pour que l’indépendance de la justice soit garantie, il conviendra aussi de renforcer ses pouvoirs sur les services judiciaires de police et de gendarmerie, en les plaçant directement sous son autorité et non celle du ministère de l’intérieur, afin d’éviter là encore l’immixtion du pouvoir exécutif dans la conduite des affaires.
Cette indépendance ne sera pas incompatible avec la coordination de l’action publique par les magistrats du parquet, les instructions dans les dossiers individuels devant être en revanche interdites. Il conviendra de donner aux substituts du procureur, à la base de la hiérarchie, un statut garantissant un recours contre tout dessaisissement injustifié d’un dossier par leur supérieur. De la même façon, le principe du juge naturel devra être réaffirmé avec force concernant les magistrats du siège pour éviter que les dossiers les plus sensibles ne soient confiés à un magistrat choisi en dehors de considérations objectives.
Concernant la classification « secret défense », les affaires récentes ont montré les entraves nombreuses faites à la justice, notamment dans les affaires en lien avec la vente ou le trafic d’armes. Le Conseil Constitutionnel vient de censurer les règles relatives aux lieux classifiés au titre du secret de la défense nationale, règles résultant de la loi de programmation militaire de 2009/2014 qui avait institué de véritables zones échappant à toute action de la justice. Concernant les informations classifiées au titre du secret de la défense nationale, le Conseil a estimé au contraire que, la déclassification pouvant être ordonnée par l’autorité administrative après avis de la « Commission consultative du secret de la défense nationale », indépendante, les garanties étaient suffisantes au regard du principe de séparation des pouvoirs. Pour le Front de Gauche, il conviendra pourtant d’aller beaucoup plus loin pour permettre l’effectivité des investigations dans ces domaines sensibles. Trois mesures de bon sens devront être prises. En premier lieu, les avis de la commission devront s’imposer au gouvernement. En second lieu, une possibilité de recours juridictionnel, devant une chambre de la Cour d’appel de Paris, devra être prévue contre les décisions de la commission. Enfin, le mode de désignation des membres de la commission devra être revu afin de parfaire son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.
Philippe POUTOU, NPA : NE SE PRONONCE PAS
La volonté d’empêcher les interférences du pouvoir politique dans les affaires politico-judiciaires est juste. Il n’est pas certain que cette solution soit la plus adaptée.
Nicolas SARKOZY, UMP : NON
La justice n’est pas un pouvoir en dehors de l’Etat, mais un pouvoir de l’Etat, un pouvoir dans l’Etat. Elle est rendue au nom du peuple français. Elle doit lui rendre des comptes. Il est normal qu’elle soit dirigée par une autorité politique dont la légitimité découle du fait qu’elle est désignée démocratiquement. Je suis donc hostile à la création d’un procureur général de la nation sans légitimité démocratique et qui sera, en pratique, quelles que soient ses éminentes qualités et son immense intégrité, en l’absence de collégialité, toujours passible de suspicion car il n’arrivera pas à ce poste par hasard, mais forcément au terme d’une longue carrière. Je ne conçois pas, par ailleurs, de pouvoir sans responsabilité.
Pour autant, la justice doit évidemment être protégée de toutes pressions, notamment politiques. Je note que c’est la réforme constitutionnelle de 2008 qui a rendu le CSM parfaitement indépendant et a étendu ses compétences à la nomination des procureurs généraux. Je note que, depuis cette date, le gouvernement a toujours suivi les avis du CSM sur la nomination des membres du parquet, alors même qu’il n’y était pas tenu. Je me suis engagé à inscrire dans la Constitution cette pratique. Naturellement, les instructions individuelles doivent être très strictement encadrées.
S’agissant de la commission consultative du secret de la défense nationale :
Dans une décision du Conseil Constitutionnel du 10 novembre 2011, saisie d’une QPC posée dans le cadre du dossier KARACHI, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif issu de la loi de juillet 2009, excepté sur la problématique très spécifique des lieux classifiés. En raison des garanties d’indépendance conférées à cette commission ainsi que des conditions et de la procédure de déclassification et de communication des informations classifiées, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur a opéré, entre les exigences constitutionnelles applicables, une conciliation équilibrée.