Indépendance de l’expertise : les engagements des candidats

(Dernière mise à jour : 11 avril 2012)

A ce jour, huit candidats ont pris des engagements en réponse à nos 7 propositions. D’ici au premier tour de l’élection présidentielle le 22 avril prochain, nous publierons ces engagements, thème par thème, afin de permettre aux électeurs de comparer les programmes des candidats dans le domaine de l’éthique de la vie publique. Les engagements pris en réponse à nos propositions sur les conflits d’intérêtsl’indépendance de la justicele contrôle citoyenl’inéligibilité des élus condamnés pour corruption, le lobbying et le cumul des mandats ont également été publiés.

Commençons avec notre proposition portant sur l’indépendance de l’expertise. Pour rappel, elle vise à étendre  les règles prévues par le projet de loi sur la réforme du système du médicament à d’autres domaines clés de l’expertise scientifique et technique. Concrètement, il s’agit de rendre transparents les liens financiers entre les industriels, les experts, les agences publiques et les associations et de garantir l’indépendance des organismes en charge de l’expertise.

Les huit candidats se déclarent favorables à notre proposition, certains proposant même d’aller au-delà (Eva Joly et Philippe Poutou notamment).
 

Détail des réponses des candidats :

François BAYROU, MoDem : OUI

Les propositions faites par Transparence sont de bon sens. Dès 2007, j’ai proposé la création d’autorités indépendantes, chargées de l’alerte et constituée d’experts totalement indépendants. L’actualité vient rappeler cette urgente nécessité.


Jacques CHEMINADE, Solidarité et Progrès : OUI

C’est ce que j’ai proposé en ce qui concerne l’expertise scientifique et médicale. Le fonctionnement globalement satisfaisant de l’expertise dans le secteur du nucléaire me paraît une référence à prendre, en l’améliorant pour une pédagogie publique permettant de dissiper toute opacité et de fournir aux citoyens des critères de jugement.


Nicolas DUPONT-AIGNAN, Debout la République : OUI

Les experts missionnés par les pouvoirs publics doivent pouvoir exercer leur métier en toute indépendance et en dehors de toute pression ou sympathie extérieure.


François HOLLANDE, PS : OUI

Il faut en effet créer les conditions d’une expertise réellement indépendante en étendant les règles prévues par le projet de loi sur la réforme du médicament à d’autres domaines clés de l’expertise scientifique et technique.


Eva JOLY, EELV : OUI

Organiser les conditions du débat public est un élément essentiel dans une démocratie qui fonctionne. C’est pour cela que nous proposons notamment la création d’autorités régionales indépendantes de débat public (sous la responsabilité des Régions), dotées de moyens propres. Elles n’auraient pas pour objet de décider mais de garantir la qualité du débat (information, argumentation, association de toutes les parties prenantes, mise à disposition de l’expertise et de la possibilité d’expertises complémentaires, neutralité de l’animation du débat, accessibilité, respect de la parole de tous…), pour clarifier toutes les dimensions du débat (enjeux, impacts, scénarios…) et ainsi éclairer tous les décideurs. 

De même, il n’est pas acceptable de laisser perdurer une possible confusion entre l’expertise technique et les intérêts industriels dans les cabinets ministériels, dans les agences de l’État ou dans les commissions d’experts. L’ensemble des déclarations d’intérêt des membres de ces instances doit être accessibles au public, et des sanctions importantes sont à prévoir en cas de manquement à ces déclarations. Par ailleurs, s’il est compréhensible qu’on puisse vouloir changer de travail, il est nécessaire d’interdire de quitter une responsabilité publique dans un domaine donné pour prendre directement un poste de responsabilité servant des intérêts privés dans le même domaine.


Le Front de Gauche pour Jean-Luc MELENCHON : OUI

Afin de permettre une juste information des citoyens appelés à faire des choix sur des sujets essentiels notamment en matière d’environnement, d’alimentation et dans tous les domaines de la vie publique, il conviendra de garantir l’impartialité des organismes en charge de l’expertise par rapport aux acteurs de la vie industrielle et d’éviter toute collusion entre les différents acteurs économiques et publics qui serait susceptible de mener à des décisions contraires à l’intérêt général.

Ainsi, dans la même logique que celle visant à éviter les conflits d’intérêts pour les responsables publics et élus, il faudra instaurer une transparence par le biais de déclarations publiques, qui devront être faites par les experts et les agences sollicités par les pouvoirs publics, les industriels, les laboratoires, les associations, les organes de presse. Ces déclarations devront être précises sur l’existence de liens professionnels et financiers existant entre eux. Pour en garantir l’effectivité, des sanctions devront être prévues en cas de manquement à ces obligations déclaratives.


Philippe POUTOU, NPA : OUI

Les organismes chargés d’expertise devraient être totalement indépendants et placés sous le contrôle des usagers.
 

Nicolas SARKOZY, UMP : OUI

Diverses crises sanitaires ont démontré qu’il fallait réformer notre système d’accès au marché pour les produits de santé. En matière de santé, nous devons rebâtir sur des bases nouvelles de véritables relations de confiance et d’autorité avec les Français. Nous avons donc souhaité travailler avec les industriels pour apporter davantage de transparence dans les décisions parfois considérées comme influencées. Les Français veulent des garanties d’indépendance renforcées. Ces garanties mériteraient très certainement d’être développées ailleurs.

Projet de loi sur le médicament : un texte qui va loin dans la prévention des conflits d’intérêts. Reste à suivre son application…

L’Assemblée nationale se prononce cet après-midi sur le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. La mise au jour, par plusieurs rapports sur l’affaire du Mediator, de conflits d’intérêts dans différentes instances et processus rendait urgente l’adoption de règles claires applicables à l’ensemble des acteurs concernés.

Si nous n’avons pas vocation à nous exprimer sur les dispositions concernant spécifiquement l’organisation de la santé et du médicament, nous soulignons en revanche l’intérêt de l’adoption par les députés de plusieurs dispositions fortes imposant la transparence des liens d’intérêts de l’ensemble des intervenants de la sécurité sanitaire ainsi que la publication des avantages consentis par les entreprises pharmaceutiques. Loin d’être réservées à la santé, les règles de ce projet de loi devraient inspirer celles en vigueur dans de nombreux autres secteurs.

Nous relevons aussi que le projet de loi comporte plusieurs dispositions plus exigeantes que celles que le gouvernement propose pour les ministres, leur cabinet et les hauts fonctionnaires, dans un autre projet relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, qui devrait également être débattu tout prochainement au Parlement.

Les dispositions prévues rejoignent certaines de nos recommandations pour prévenir les conflits d’intérêts dans la vie publique et garantir l’indépendance de l’expertise, notamment :

la mise en place d’une déclaration publique d’intérêts pour l’ensemble des acteurs intervenant dans le champ de la santé (experts publics ou privés, personnels des agences et de l’administration, associations de patients notamment, professionnels de santé[1]) et de règles prévoyant des sanctions ;

l’interdiction de prendre part aux délibérations et aux décisions en cas d’intérêt, direct ou indirect, lié à la question examinée. Ces décisions doivent être déclarées illégales si l’interdiction n’a pas été respectée ;

la transparence des débats et des décisions des commissions ;

la création d’une cellule de déontologie dans chaque agence ;

la publication des accords financiers passés entre les entreprises pharmaceutiques et les professionnels de santé, les associations de patients, les autres associations, les organes de presse, les sociétés savantes… (« Sunshine Act à la française »)

La mise en œuvre concrète de ces dispositions doit être organisée et suivie

Lorsque des règles sont fixées, tout doit être mis en œuvre pour s’assurer qu’elles seront effectivement appliquées. L’affaire du Mediator a aussi montré que les mesures existantes pour prévenir les conflits d’intérêts étaient très insuffisamment appliquées et contrôlées[2].

Aussi, de réels moyens de contrôle et de sanction doivent être donnés aux organes qui seront chargés de veiller à l’application des nouvelles règles. Déjà, on peut s’inquiéter du fait que la création d’une structure ad hoc pour contrôler les déclarations d’intérêts n’ait pas été retenue, faute de moyens. Ce rôle sera dévolu à chaque institution à travers sa cellule de déontologie, mais sans garantie, pour l’instant, que l’information soit centralisée et facilement accessible aux citoyens, par exemple, via un portail Internet unique, alors qu’il était rappelé en Conseil des ministres du 31 août 2011 : « Le Gouvernement a engagé une politique ambitieuse d’ouverture des données publiques pour un Etat plus transparent. »[3]

La mise en œuvre concrète de ces dispositions restant soumise, ensuite, à l’adoption de près de 30 décrets en Conseil d’État[4], nous appelons par ailleurs le gouvernement et le législateur ainsi que l’ensemble des parties prenantes à rester très attentifs au risque de « détricotage » dela loi. Dans le domaine sanitaire, la loi dite « anti‐cadeaux » de1993 a vu sa portée largement affaiblie par un amendement nocturne et de dernière minute dont l’origine est demeurée incertaine. Enfin, on a pu le constater dans le cadre dela loi Grenelle II, c’est le lobbying qui s’exerce lors de la phase règlementaire qui affaiblit souvent la portée d’un texte et de son intention.

Pour être acceptables et utiles au débat démocratique, les démarches de lobbying qui seront forcément conduites en marge de l’élaboration de ces décrets, devront faire l’objet d’une transparence exemplaire, tant de la part des administrations que des groupes d’intérêts concernés.


[1] Dans le détail : membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ; dirigeants, personnels de direction et d’encadrement et les membres des instances collégiales, des commissions et conseils de l’ensemble des opérateurs du secteur sanitaire ; experts participant aux groupes de travail préparatoires aux commissions et conseils des autorités concernées.

[2] Comme le rappelle le rapport de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, « aussi bien les rapports du Sénat que de l’Assemblée nationale sur le Mediator soulignent les disparités dans l’application de la réglementation relative à la déclaration des liens d’intérêt : absence de mise à jour régulière ; manque de rigueur dans les déclarations ; manque de précision des modèles de déclaration publique d’intérêts. »

[3] Cf. circulaire du Premier ministre du 26 mai 2011, notamment, relative à la création du portail unique des informations publiques de l’Etat « data.gouv.fr »

[4] Par exemple : modèle et contenu de la déclaration d’intérêts (liens familiaux ou non), conditions dans lesquelles elle sera rendue publique, modalités de dépôt, d’actualisation et de conservation, nature des informations à déclarer pour les industriels, seuil à partir duquel les avantages doivent être rendus publics.