Mesures annoncées par François Hollande – La question de l’inéligibilité des élus corrompus

Lors de son intervention hier sur l’affaire Cahuzac, François Hollande a déclaré que les élus condamnés pour fraude fiscale ou corruption seraient interdits de tout mandat public. Le Président de la République reprend ainsi l’une de nos 7 propositions sur lesquelles il s’était engagé pendant la campagne présidentielle.

L’inéligibilité à vie des élus condamnés pour corruption peut-elle déclarée anti-constitutionnelle ?

Comme de nombreux observateurs aujourd’hui, nous nous sommes également posé la question. Le Conseil constitutionnel ayant censuré en 2010 l’article L.7 du Code électoral qui prévoyait une inéligibilité automatique pour les élus condamnés pour des délits financiers, nous avions aussi des doutes quant à la compatibilité de l’inéligibilité à vie avec la constitution et la Déclaration européenne des Droits de l’Homme. Ainsi, notre proposition initiale était de porter de 5 à 10 ans le plafond de la peine d’inéligibilité des élus condamnés pour corruption.

Nos recherches complémentaires nous ont depuis conduits à considérer que seule l’automaticité de cette peine serait contraire aux droits fondamentaux, au nom du principe fondamental de l’individualisation des peines. Par ailleurs, toute peine prononcée à vie doit toutefois pouvoir faire l’objet d’une procédure de réhabilitation ou de modification.

Dès lors, nous estimons que dix ans d’inéligibilité devrait être un minimum et non pas un maximum et qu’il faut donner la possibilité aux juges, au cas par cas, d’aller plus loin jusqu’à pouvoir prononcer une inéligibilité à vie pour les malversations les plus graves.

Une telle peine existe-t-elle dans d’autres pays ? 

La peine d’inéligibilité existe dans plusieurs autres pays. Au Danemark par exemple, une personne qui a été jugée coupable pour un « acte considéré comme indigne par le public » ne peut être élue au Parlement. 

 

Affaire Cahuzac – Pour un sursaut national

Les aveux de Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget, dans l’affaire de blanchiment de fraude fiscale qui le vise, fournissent un exemple sans précédent de l’écart trop souvent constaté en France entre les paroles de responsables publics et leurs actes.

Cette affaire extrêmement grave pour la confiance des citoyens dans la parole publique, confirme l’urgence de notre appel à faire de la lutte contre la corruption et de l’éthique de la vie publique une grande cause nationale. En effet, la réponse à donner doit être à la hauteur du dommage considérable qui a été causé aux institutions de notre pays.

Il est aujourd’hui indispensable de sortir par le haut de ce scandale et d’empêcher que le « tous pourris » ne continue à se répandre. Ce qui est en jeu n’est ni plus ni moins que la cohésion nationale. C’est la responsabilité de nos élus et bien sûr du Président de la République, le premier d’entre eux.

Pour cela, François Hollande doit mettre en œuvre sans attendre ses engagements portant sur l’éthique de la vie publique et la lutte contre la corruption, pris durant sa campagne électorale sur la base notamment des propositions de notre association. Il doit aussi mobiliser tous les Français en les rendant acteurs de la lutte contre la corruption, en décidant d’ériger l’ÉTHIQUE ici et maintenant en véritable priorité nationale.

Les trois annonces faites aujourd’hui par le chef de l’Etat, qui tendent à concrétiser les trois premières propositions que nous lui avions soumises, vont dans ce sens. Des actes forts doivent maintenant suivre. Trop souvent dans le passé, les lois votées sous la pression des affaires n’ont débouché dans la réalité que sur des mesures inadaptées ou inappliquées.

Pour que le passage à l’acte soit enfin à la hauteur des attentes, nous appelons tous les Français et l’ensemble de la société civile à se mobiliser autour de notre appel et à maintenir la pression au cours des prochains mois qui s’annoncent décisifs.

Pour soutenir cet appel, signez sur www.chaquesignaturecompte.com 
 

Corruption transnationale : l’OCDE confirme l’analyse de Transparency International

L’OCDE a publié hier son troisième rapport de suivi de la mise en œuvre par la France de la Convention de l’OCDE sur la corruption d’agents publics étrangers. L’organisation internationale estime que, malgré quelques avancées (l’engagement pris par la ministre de la Justice de ne pas donner d’instructions aux magistrats du parquet ou encore les efforts réalisés en matière de sensibilisation des entreprises à la lutte contre la corruption et la mise en place de programmes de conformité), la France n’agit toujours pas efficacement contre la corruption transnationale.

Un nombre d’affaires faible

Depuis l’adhésion de la France à la convention de l’OCDE en 2000, seulement 33 procédures ont été initiées et cinq condamnations prononcées. Comme nous le rappelions dans notre propre rapport de suivi de la Convention publié en septembre dernier, ces chiffres sont faibles : non seulement par rapport au poids économique dela France et à l’exposition de ses entreprises au risque de corruption transnationale, mais aussi si on le compare au nombre d’affaires en cours dans d’autres pays tels que les Etats-Unis (275) ou l’Allemagne (176).

La question de l’indépendance du parquet

L’OCDE arrive à la même conclusion que nous avions formulée dans notre rapport  : le manque d’indépendance des procureurs vis-à-vis du pouvoir exécutif pose problème et peut, dans certains cas, bloquer le déclenchement des poursuites en matière de corruption d’agents publics étrangers. L’OCDE a recensé 38 affaires qui n’ont « même pas donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire » alors que des sociétés françaises étaient citées.

Le manque de moyens procéduraux et humains  

Lorsque des poursuites sont engagées, le manque de moyens peut également poser problème. Le droit est jugé trop restrictif : pour sanctionner, il faut prouver l’existence d’un « pacte de corruption » entre le corrupteur et le corrompu. L’exigence de réciprocité d’incrimination, c’est-à-dire le fait que le délit soit « puni par la législation du pays où il a été commis », restreint également le nombre de procédures. En outre, la mise en œuvre des dispositions législatives encadrant le secret défense fait parfois obstacle aux enquêtes et aux poursuites.

Le manque de moyens des enquêteurs spécialisés est également de plus en plus criant. L’OCDE recommande notamment – nous aussi d’ailleurs – le renforcement des moyens de la Brigade centrale de lutte contre la corruption.

Des sanctions peu dissuasives

Ainsi que nous le proposons, le groupe de travail de l’OCDE suggère de rehausser le plafond des amendes maximales pour des faits de corruption. À l’heure actuelle, l’amende maximale pouvant être prononcée à l’encontre d’une entreprise est de 750 000 euros. Rappelons que la multinationale française Safran a récemment été reconnue coupable de corruption d’agents publics étrangers et condamnée en France à 500 000 euros d’amende. Ce montant parait faible au regard de la valeur du contrat remporté (214 millions de dollars). Cette amende n’est donc ni dissuasive, ni proportionnée.

La France a maintenant un an pour répondre par oral aux critiques formulées par l’OCDE et deux ans pour prendre par écrit des engagements précis. Une affaire à suivre…