Conditions d’exercice d’un mandat politique et transparence du lobbying : les propositions innovantes du rapport sur l’exemplarité des responsables publics

Le rapport sur l’exemplarité des responsables publics, remis par Jean-Louis Nadal au Président de la République, formule 20 propositions, dont plusieurs innovantes, visant à répondre aux affaires qui ont émaillé l’actualité récente (Cahuzac, Thévenoud, Bygmalion). Si ces propositions sont adoptées – certaines devant l’être par voie législative ou règlementaire, d’autres (les plus innovantes) via une réforme constitutionnelle –, elles devraient permettre d’éviter ou, dans certains cas, de mieux gérer les affaires lorsqu’elles surviennent.

Ce rapport reprend ainsi plusieurs des recommandations formulées par Transparency International France, notamment concernant l’encadrement du lobbying et la possibilité pour les assemblées de destituer un de leurs membres en cas de manquement grave à la probité. Parmi les principales recommandations de Transparency France qui ont été suivies :

– La  possibilité pour les assemblées de destituer certains de leurs membres en cas de manquement grave à l’exemplarité (ce qui devrait nécessiter une réforme constitutionnelle) ;

– La vérification de la situation fiscale des ministres avant leur nomination (ce que nous demandions dès 2013)

– La délivrance d’un certificat de régularité fiscale pour les candidats à une élection nationale

– La possibilité d’ajouter un critère d’inéligibilité dans les conditions pour se présenter à une élection qui porterait sur des atteintes graves à la probité (ce qui nécessite une réforme constitutionnelle).

– Les propositions en matière d’encadrement du lobbying qui préconisent de définir ce qu’est la représentation d’intérêts et qui sont les lobbyistes. Autre proposition d’importance et qui n’avait encore jamais été formulée aussi clairement et largement, l’introduction d’une empreinte normative (publication de la liste des personnes entendues, des réunions et auditions organisées, des consultations menées et des contributions reçues) à toutes les phases du processus de décision publique. L’introduction d’une telle mesure constituerait un réel progrès en matière de traçabilité de la décision publique. Le rapport propose également d’instaurer un registre obligatoire des représentants d’intérêts au niveau du Gouvernement avec l’objectif de le fusionner à terme avec celui des assemblées. Le rapport précise, à juste titre, que ces deux propositions sont complémentaires, l’une ou l’autre ne pouvant suffire à elle seule.

– La création d’un réseau de déontologues et mise en place des chartes de déontologie et de formation dans les administrations et les collectivités.

Si ce rapport constitue indéniablement un marqueur de progrès, Transparency France regrette que les propositions n’aient pas été plus ambitieuses concernant les règles applicables aux parlementaires, notamment concernant l’usage de leurs indemnités ou la gestion des conflits d’intérêts. Le rapport propose uniquement « d’engager une réflexion » sans formuler de propositions concrètes. Rappelons qu’un rapport avait déjà été rendu sur le sujet de l’IRFM par l’ancienne déontologue Noëlle Lenoir, mais les préconisations de ce rapport n’ont eu aucune suite.

Par ailleurs, aucune proposition n’est faite concernant les activités professionnelles annexes exercées par les parlementaires (pas de plafond pour les revenus tirés de ces activités) ou encore sur la gestion des conflits d’intérêts (déclaration orale des intérêts et déport). Enfin, le rapport ne revient pas sur la nécessité d’instaurer un véritable contrôle des comptes de l’Assemblée nationale et du Sénat par la Cour des comptes (contrôle de gestion) comme elle peut le faire pour l’Élysée et non une simple certification.

>> Retrouvez notre synthèse complète du rapport 

Les lois sur la transparence ont 1 an : premier bilan d’étape

Il y a tout juste un an, le 11 octobre 2013, les lois sur la transparence de la vie publique étaient promulguées. Notre association, en première ligne lors des débats, a pesé de tout son poids pour que des règles ambitieuses soient adoptées et créer ainsi les conditions d’un rétablissement de la confiance des citoyens envers leurs représentants. Nous avons aussi souligné à plusieurs reprises l’importance des moyens mis à disposition pour garantir que ces règles soient effectivement appliquées. 

Un an après, où en est-on ?

1. Mise en place  de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique

En décembre 2013, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) est créée, présidée par l’ancien magistrat Jean-Louis Nadal.

Disposant d’une vingtaine de collaborateurs et de relations privilégiées avec l’administration fiscale, elle est chargée de contrôler les déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale de plus de 9000 responsables publics : membres du Gouvernement, parlementaires, eurodéputés, collaborateurs du président de la République, des ministres et des présidents des assemblées, principaux exécutifs locaux, dirigeants des entreprises publiques, membres des autorités administratives indépendantes…

2. Un contrôle qui commence à faire ses preuves

En moins d’un an d’existence, la HATVP aura montré sa volonté d’user de son pouvoir de contrôle, prouvant ainsi son indépendance :

  • En mars, la HATVP adresse un premier signalement au procureur pour des irrégularités dans la déclaration de patrimoine de l’ancienne secrétaire d’État à la Francophonie Yasmina Benguigui. Une enquête préliminaire est ouverte.
     
  • En avril, la HATVP annonce une étude plus approfondie des déclarations d’intérêts et de patrimoine de l’ancien conseiller de l’Élysée Aquilino Morelle.
     
  • La HATVP rappelle à l’ordre Jean-Marie Le Guen estimant qu’il a sous-estimé une partie de son patrimoine. Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement est contraint de revaloriser certains de ses biens.
     
  • Le dispositif de vérification de la situation fiscale des ministres fait ses preuves. En septembre, 9 jours après sa nomination comme secrétaire d’État au Commerce extérieur, Thomas Thévenoud est contraint de démissionner.

Au-delà, son action aura permis une réelle prise de conscience sur la nécessité de prévenir et de gérer les conflits d’intérêts. Quelques exemples :

  • En juin, Jean-François Boutet, conseiller spécial de Christiane Taubira, quitte son poste au ministère de la Justice. Également avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’État, la HATVP l’avait alerté sur ce « conflit d’intérêts apparent ».   
     
  • En août, un décret décharge Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de sa tutelle sur les activités recherche du CEA. Son compagnon est en effet le directeur délégué du CEA.
     
  • En octobre, Bercy annonce que la médiatrice du crédit Jeanne-Marie Prost, dont le mari, doit prendre la présidence de BNP Paribas, quittera ses fonctions le 1er décembre.

3. Transparency International France, première association agréée

En juin 2014, Transparency International France devient la première association anti-corruption à obtenir l’agrément délivré par la HATVP.

Notre association peut désormais la saisir pour toute question relative aux lois sur la transparence adoptées en octobre dernier : déclarations d’intérêts et de patrimoine incomplètes, conflits d’intérêts, incompatibilités non respectées, pantouflages problématiques…

Nous invitons les citoyens à exercer leur droit de regard et à nous faire part des manquements constatés.

4. Publication des déclarations d’intérêts des parlementaires

Après celles des ministres en juin, les déclarations d’intérêts des parlementaires sont rendues publiques en juillet 2014.

Rappelons que, suite à une décision du Conseil constitutionnel, seules les déclarations d’intérêts des ministres, des parlementaires et des élus locaux doivent être rendus publiques. Celles des personnes non élues resteront sous clé, rendant difficile leur contrôle.

Entre 10 et 15% des parlementaires exercent des activités professionnelles privées. D’après un décompte de Mediapart, plus de 100 parlementaires ont perçu 7,1 millions d’euros dans le secteur privé en 2013. Une vingtaine de parlementaires génère ainsi des revenus qui dépassent 100 000 euros par an. On découvre aussi qu’entre 10% et 15% des parlementaires ont au moins un collaborateur qui porte le même nom de famille qu’eux.

La transparence permise par la publication de ces déclarations aura donc permis de fournir des informations objectives sur ceux qui nous gouvernent et dissiper certains fantasmes : les parlementaires qui ont des activités professionnelles privées ne sont qu’une minorité (10%). Bien sûr, si cela reste encore trop du fait des risques de conflits d’intérêts que ces activités génèrent, sans parler des cumuls de fonctions et mandats publics.

Autre avantage, la transparence aura permis de mettre au jour des situations problématiques :

  • Si un parlementaire génère plusieurs centaines de milliers d’euros de revenus annexes, a-t-il le temps d’exercer efficacement sa mission de parlementaire ?
     
  • Est-ce normal que l’on puisse être rémunéré à hauteur de 200 000€ pour conseiller sur l’application de la législation et, en parallèle, contribuer à l’élaboration de cette même législation ?
     
  • Est-ce normal que l’on ait des parts dans une société de promotion immobilière alors que la loi interdit explicitement l’exercice d’une fonction dans «les sociétés exerçant certaines activités immobilières à but lucratif» ?
     
  • Est-ce normal que l’on soit parlementaire et en même temps directeur des relations institutionnelles (le mot souvent utilisé pour dire « lobbying »), percevoir des revenus pour cette activité ?

 5. Gestion des conflits d’intérêts des parlementaires : doit mieux faire !

Si ces types de situations perdurent, c’est parce que le système de gestion des conflits d’intérêts et des incompatibilités parlementaires est loin d’être satisfaisant. La HATVP n’a aucun pouvoir en la matière : elle peut simplement alerter le Bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat des situations problématiques qu’elle détecte ; à lui ensuite de prendre une décision. Ainsi, aujourd’hui, seul les Bureaux des assemblées (composés de parlementaires) peuvent enjoindre à un député ou un sénateur de faire cesser une situation de conflit d’intérêts.

De même, concernant les incompatibilités, ce sont les Bureaux qui autorisent les parlementaires à conserver, ou non, une activité professionnelle. A l’évidence aujourd’hui, ils ne parviennent pas à faire respecter certaines interdictions pourtant prévues depuis de nombreuses années.

En cas de conflit d’intérêts, les responsables publics sont soumis à une obligation de déport (abstention). Mais cette obligation ne concerne pas les parlementaires. Au cours des débats, ces derniers s’étaient engagés à faire adopter par les Bureaux des assemblées des règles en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts. A l’Assemblée nationale, une révision du Règlement – prévoyant d’entériner l’existence d’un code de déontologie et d’un déontologue – est dans les tuyaux, mais rien de précis n’a encore été adopté.

Le Bureau du Sénat a, pour sa part, adopté en juin certaines règles. Entrées en vigueur le 1er octobre, elles instaurent une définition du conflit d’intérêts – différente de celle de la loi du 11 octobre 2013 – et l’obligation de déclarer les invitations à des déplacements ainsi que les cadeaux, dons et avantages en nature d’une valeur supérieure à 150 euros. Seules les invitations sont rendues publiques. Là encore, c’est le Bureau qui est le garant de l’application de ces règles. Par exemple, s’il constate une situation de conflit d’intérêts, il peut demander à l’intéressé de faire cesser cette situation. Un guide de bonnes pratiques a par ailleurs été institué. Contenant aujourd’hui seulement trois recommandations, il a vocation à être enrichi et complété en fonction des situations futures. Outre la publication par les rapporteurs de la liste des personnes consultées, ce guide recommande aux sénateurs, lors d’un débat en commission, de faire une déclaration orale des intérêts qu’ils détiennent ayant un lien avec l’objet du débat. Avant d’être investi de la fonction de rapporteur, le sénateur peut également apprécier si les intérêts privés qu’il détient lui paraissent de nature à le placer dans une situation de conflit d’intérêts. Ces recommandations n’ont cependant aucune valeur contraignante. 

Et maintenant ?

1. A venir, mais quand ?

  • Publication des déclarations d’intérêts des élus locaux ainsi que celle des députés européens
     
  • Possibilité de consulter en préfecture la déclaration de patrimoine de son député et sénateur. Pour rappel, nous étions favorables à leur publication pour favoriser l’exercice d’un contrôle citoyen et aider la HATVP dans sa mission de détection d’éventuels enrichissements illicites. Nous invitons les responsables publics à publier volontairement leur déclaration de patrimoine. Certains commencent d’ailleurs à le faire.
  • Adoption du projet de loi sur la déontologie des fonctionnaires qui vise à mettre en place pour tous les agents publics des dispositions en matière de prévention des conflits d’intérêts et pour lequel nous avions été auditionné en avril dernier

 2. Nos recommandations pour aller plus loin

  • Instaurer, pour les parlementaires, une obligation de déclaration orale de ses intérêts avant de participer à un débat et à un vote
     
  • S’abstenir d’être nommé rapporteur d’un texte sur un sujet pour lequel on détient un intérêt personnel
     
  • Veiller au respect effectif des incompatibilités parlementaires et étendre ces règles aux collaborateurs des députés et sénateurs
     
  • Adopter des règles déontologiques recommandant de ne pas exercer des activités de conseil ou d’avocat d’affaires en parallèle d’un mandat parlementaire
     
  • Ajouter, dans les conditions de candidature à une élection, l’absence de condamnation pour atteinte à la probité ainsi qu’un certificat de conformité fiscale et sociale
     
  • Adopter des règles de bonne conduite pour les relations entre responsables publics et représentants d’intérêts. Notre association publiera d’ailleurs un état des lieux complet sur le lobbying en France le 21 octobre prochain.

Au-delà de ces recommandations, Transparency International France invite tous les citoyens et leurs associations à se saisir de leurs nouveaux droits qui leur donnent aujourd’hui les moyens de participer au contrôle de l’éthique de la vie publique : contrôle des déclarations d’intérêts et de patrimoine, possibilité de saisir la HATVP, protection des lanceurs d’alerte, droit d’agir en justice des associations anti-corruption, possibilités offertes par l’ouverture des données publiques… 

Notre association présentera le 9 décembre prochain un ensemble de propositions et de solutions devant permettre à chacun de s’engager dans la lutte contre la corruption. 

L’affaire Thévenoud démontre l’utilité de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique

La mise à jour du non respect des obligations fiscales de Thomas Thévenoud, éphémère secrétaire d’État au Commerce extérieur, n’aurait pas été possible sans le travail de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Depuis l’adoption des lois sur la transparence de la vie publique, chaque membre du Gouvernement, dès sa nomination, fait en effet l’objet d’une vérification de sa situation fiscale sous le contrôle de la HATVP, dont la création était une revendication de longue date de notre association.

Selon Jean-Louis Nadal, président de la HATVP, cité par l’AFP, « La rapidité de cette démission montre incontestablement l’efficacité des lois sur la transparence de la vie publique votées en 2013 et l’utilité de la Haute Autorité ». Un avis que nous partageons !

Une nuance toutefois. Si les parlementaires avaient suivi notre proposition en instaurant une vérification avant la nomination des membres du Gouvernement cela aurait permis d’éviter ce type d’affaire qui jette le discrédit sur l’ensemble de l’exécutif.