EUROPEENNES 2024 | Manifeste pour une Europe plus transparente, plus intègre et mieux armée contre la corruption

EUROPEENNES 2024 | Manifeste pour une Europe plus transparente, plus intègre et mieux armée contre la corruption

Le 9 juin, les Français éliront leurs 81 députés au Parlement européen pour 5 ans. Depuis 1958, la communauté économique initiale s’est transformée en une véritable union politique, économique et sociale dont les décisions transforment la vie et le bien-être de 450 millions d’européens.

De nombreuses avancées ont eu lieu : les marchés publics sont mieux protégés, le Parquet européen protège les fonds européens, la législation européenne a permis de de renforcer la lutte contre l’argent sale, un rapport annuel sur l’Etat de droit est une première réponse en vue de prévenir les violations de l’Etat de droit et de déclencher, le cas échéant, la procédure d’infraction et le mécanisme de conditionnalité budgétaire…

Au cours d’une législature 2019-2024 traversée par les crises, l’Union européenne a adopté plusieurs législations importantes : création de l’autorité européenne contre le blanchiment de capitaux, directive protégeant les lanceurs d’alerte, directive contre les procédures baillons qui empêchent les journalistes d’enquêter…

Aujourd’hui, les institutions européennes libérées des illusions du doux commerce vecteur de paix universelle ont besoin d’un cap clair. La lutte contre la corruption doit être placée au cœur des politiques de l’Union, non seulement parce qu’elle est un facteur de compétitivité, de prospérité et de développement, mais surtout parce qu’elle est indispensable à la démocratie. Quand la corruption prospère, l’économie décline et la démocratie dépérit. La défense de l’Etat de droit et la défense de la société civile ne sont pas négociables.

Aujourd’hui, les institutions européennes frappées par le « Qatargate » et de trop nombreux scandales doivent rompre avec les mauvaises habitudes et les vieilles pratiques. Les Etats membres doivent se mobiliser pour se doter ensemble des moyens d’une lutte efficace et résolue contre la corruption. Les politiques majeures de l’Union, comme le climat, doivent être protégées des fraudes et des détournements. L’élargissement doit être un levier pour permettre aux candidats, y compris à l’Ukraine demain, de se réformer et de mieux servir leurs citoyens. Tenir la promesse d’une Europe plus sûre, plus juste et plus efficace, c’est aussi mettre au cœur de la prochaine législature une politique ambitieuse de lutte contre la corruption et les flux financiers illicites.

Au total, nous appelons les députés français au Parlement européen à se doter d’une véritable ambition pour l’Europe en matière de lutte anticorruption, éclairée par les succès et les difficultés que cette lutte rencontre en France.



L’Union européenne (UE) devra adopter une stratégie globale pour lutter contre la corruption dans la sphère publique et les acteurs économiques, protéger ses intérêts financiers et ceux des États membres, renforcer et mobiliser son arsenal d’instruments législatifs et administratifs. La première étape devra être l’adoption d’une directive anticorruption ambitieuse qui comporte des mesures préventives fortes s’inspirant du référentiel français anticorruption, favorise le développement d’outils de contrôle efficaces, protège les victimes et répare le préjudice de la corruption.

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Opérationnel depuis 2021, le Parquet européen a fait ses premiers pas. Créé dans le cadre d’une coopération renforcée, son mandat devra être étendu à tous les États membres de l’UE, et son autonomie institutionnelle devra être garantie.

Les marchés publics et les fonds européens restent une zone de risque : la règlementation devra être révisée afin de combler les lacunes actuelles en matière de contrôle de l’intégrité des tiers et édicter des règles communes sur la gouvernance ouverte, les normes de protection et de sécurité des données et la transparence des dépenses publiques dans le cadre du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO). L’UE doit s’assurer que les responsables de fraudes ou de corruption d’agents publics soient exclus durablement des financements de l’UE.

L’Office européen de lutte antifraude (OLAF) devra être doté de pouvoirs accrus pour enquêter sur les membres et les fonctionnaires de l’UE et avoir accès aux bureaux des députés européens.

L’UE doit s’engager activement dans le cadre de la Convention des Nations-Unies contre la corruption (CNUCC). L’UE devra aussi utiliser son statut d’observateur au sein du Groupe des Etats engagés contre la corruption (GRECO) pour se faire évaluer par des tiers et renforcer ses règles.



La sixième directive anti-blanchiment qui vient d’être adoptée devra être transposée rapidement afin de renforcer les moyens d’action des autorités publiques chargées de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Cette directive permet d’assurer un accès effectif de la presse et des organisations de la société civile aux registres des bénéficiaires effectifs. Cet accès était menacé depuis une décision de la Cour de justice de l’Union du 22 novembre 2022 qui a invalidé l’accès du grand public aux registres des bénéficiaires effectifs instauré par la directive du 30 mai 2018, jugeant que l’accès en cause portait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et à la protection des données.

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Au cours de la prochaine législature, les institutions européennes devront s’attacher à réviser la réglementation actuelle pour garantir qu’elle soit adaptée aux évolutions récentes des techniques de blanchiment d’argent. Des dispositions plus strictes devront être introduites en matière de transparence des bénéficiaires effectifs des entreprises et des trusts en vue de réduire les possibilités d’anonymat dans les transactions financières. Le champ d’application des règles anti-blanchiment devra être étendu afin de couvrir un éventail plus large de secteurs économiques, y compris les professions du droit, du chiffre et les agents immobiliers. Les moyens dévolus aux autorités de surveillance nationales devront être renforcés pour leur permettre de lutter contre la grande délinquance financière, le blanchiment de capitaux et la fraude fiscale qui vont généralement de pair.

Les criminels et les kleptocrates blanchissent souvent les produits de leurs crimes et délits en les investissant dans des biens de grande valeur, comme des yachts, des œuvres d’art, des bijoux ou des biens immobiliers de prestige, mais aussi de plus en plus dans des actifs numériques spéculatifs. Des montages de plus en plus sophistiqués leur permettent de dissimuler la véritable propriété de leurs avoirs avec l’aide de conseils négligents ou complaisants. Les autorités européennes en collaboration avec les autorités nationales, doivent responsabiliser les prestataires et les plateformes numériques en les contraignant à transmettre, sous peine de lourdes pénalités, des déclarations de soupçon aux cellules de renseignement financier à chaque fois qu’il y a doute sur le bénéficiaire effectif d’une transaction.

Les registres de bénéficiaires effectifs et les registres cadastraux doivent être interconnectés, dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), pour donner aux autorités de poursuite et aux juges d’instruction la capacité de déterminer rapidement les schémas de détention et les sociétés détentrices de flux financiers illicites.


L’État de droit n’est un acquis pour aucune démocratie, les plus jeunes comme les plus anciennes. Directement menacé ou simplement victime d’une érosion, l’État de droit faiblit sous les coups de boutoir des abus de pouvoir et des tentatives de déstabilisation des régimes autoritaires. Plusieurs États membres, comme la Hongrie et la Pologne, jusqu’à la défaite électorale du PiS, ont pris des mesures visant à remettre en cause l’indépendance du système judiciaire, affaiblir les médias indépendants ou bâillonner les organisations de la société civile. La solidité de l’État de droit et la vitalité de la société civile sont indispensables à une lutte efficace contre la corruption active et passive et la grande criminalité financière.

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Concrètement, les menaces contre l’État de droit se traduisent par l’affaiblissement des contre-pouvoirs face à des exécutifs dominants ou des partis politiques qui capturent l’État (justice, administration…) à leur profit et réduisent le champ d’action de la société civile à coup de contraintes, d’interdictions ou de représailles. La France n’est pas immunisée contre de telles dérives, mais notre pays peut aussi porter en Europe l’expérience de choix forts et d’institutions libres qui ont fait leurs preuves.

L’UE a créé des instruments supplémentaires, à la fois préventifs et punitifs (conditionnalité et évaluation annuelle), sans parvenir à éradiquer les menaces contre l’État de droit. Il appartient donc aux institutions européennes, au cours de la prochaine législature, de mobiliser plus efficacement ces instruments pour mettre fin aux graves violations des valeurs de l’UE. Les rapports annuels sur l’État de droit doivent contenir des recommandations mieux étayées et plus précises en vue de sanctionner financièrement, dans le respect du principe de proportionnalité, les États coupables de violations de l’État de droit, et éviter que le budget européen ne soit utilisé à mauvais escient par des gouvernements agissant en contradiction avec les valeurs de l’Union européenne et de la Charte des droits fondamentaux. Les négociations et les processus de décision concernant le respect de l’État de droit doivent être transparents, objectifs et associer la société civile.


Les organisations de la société civile et les journalistes jouent un rôle essentiel dans l’identification de la corruption et le contrôle efficace des abus de pouvoir et des enrichissements sans cause.

Ces dernières années, la société civile est soumise à des pressions croissantes, voire à des menaces, qui sont plus prononcées dans les pays confrontés à un véritable déclin démocratique. Pour que les démocraties européennes prospèrent, il est primordial de renforcer la société civile et les contre-pouvoirs. Pour y parvenir, l’UE doit mettre en place un ensemble de mesures qui ne relèvent pas seulement du domaine de la loi et qui visent à protéger la société civile et les défenseurs des droits fondamentaux, y compris en mettant fin à l’anonymat sur les réseaux sociaux.

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Dans un contexte de recul de la démocratie et de menaces sur l’État de droit, il est impératif de conforter un espace démocratique vivant, faciliter une large participation civique et protéger les droits fondamentaux. A l’initiative d’ONG, au premier rang desquelles Transparency International, l’Union européenne vient par exemple d’adopter une directive pour empêcher les procédures-bâillons au moment où elles se multiplient en France et visent des médias généralistes, des médias d’investigation ou des ONG.

Cette vigilance devra être maintenue dans la prochaine législature afin d’apporter des réponses rapides aux initiatives qui affaiblissent la démocratie.


Le lobbying est un élément normal de toute démocratie saine. Il permet à un large éventail de parties prenantes d’être consultées lors de la prise de décisions par les responsables publics. Comme moins de la moitié des États membres de l’UE disposent d’une réglementation régissant les activités de lobbying, les possibilités d’exercer une influence indue, tant de la part d’acteurs étrangers que nationaux, sont nombreuses.

Il est essentiel que l’Union européenne se dote d’un cadre commun dans lequel tous les acteurs qui influencent les politiques publiques soient soumis aux mêmes règles. Pour ce faire, l’UE doit se montrer plus ambitieuse. Nous devons passer d’une approche désordonnée de l’encadrement du lobbying à des normes communes permettant à la fois l’harmonisation des législations existantes, l’obligation de tenue d’un répertoire des représentants d’intérêts dans chaque État membre et l’application de sanctions, administratives et pénales, en cas de manquement aux obligations déclaratives ou d’insincérité desdites déclarations. Une directive européenne sur les lobbys permettrait aux citoyens de savoir qui influence les politiques qui les concernent. Ces obligations devront s’imposer également aux représentants d’intérêts étrangers.

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La politique climatique européenne est fragilisée par l’action discrète des lobbyistes, l’existence de conflits d’intérêts non gérés et l’importance des portes tournantes qui favorisent tous ceux qui se soustraient à la transparence et à l’obligation de rendre des comptes. L’UE doit protéger sa politique climatique phare, le « Green Deal » européen, de l’influence des lobbys et plaider sans relâche pour plus de transparence, d’intégrité et de responsabilité, tant sur son territoire que dans ses relations avec ses partenaires commerciaux. L’importance de l’effort d’investissement dans la transition climatique estimée à 620 milliards d’euros par an au niveau européen le justifie pleinement. Les institutions de l’UE doivent introduire des normes de transparence et d’intégrité plus élevées dans leur propre processus d’élaboration des politiques communes, en particulier climatiques, afin d’éviter toute influence indue et tout accaparement des politiques publiques par des intérêts privés. Plus grand bloc commercial au monde, l’UE doit également tirer parti de son pouvoir géopolitique dans les forums multilatéraux pour devenir un champion de l’intégrité climatique et de la santé des populations qui vont nécessairement de pair.


L’UE doit redoubler d’efforts pour soutenir l’Ukraine face à la guerre d’agression de la Russie. La réponse de l’UE en matière de sanctions est loin d’être suffisante. L’UE doit soutenir l’Ukraine en imposant un régime de sanctions crédible et solide, en élargissant considérablement le champ des personnes sanctionnées. Elle doit également s’attacher à cibler ceux qui facilitent le contournement des sanctions et en tirent un large profit. Les sanctions doivent être appliquées efficacement par l’Union et ses Etats membres. Les autorités nationales ont une responsabilité éminente en la matière en affirmant leur volonté politique et en dégageant des ressources financières suffisantes pour faire appliquer les sanctions adoptées. Une remobilisation collective est indispensable.

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Des discussions préliminaires sont en cours sur les modalités de financement du futur processus de reconstruction qui nécessitera d’injecter, dans un court laps de temps, des centaines de milliards d’euros dans des projets d’infrastructure en Ukraine. Outre la facilité déjà adoptée pour l’Ukraine et le programme de réforme du « plan pour l’Ukraine », d’autres sources de financement doivent être dès à présent mobilisées. Celles-ci pourraient venir de la restitution aux populations victimes des biens confisqués à l’État russe et à leurs féaux, oligarques et responsables politiques russes et biélorusses.

À cet égard, le dispositif de restitution des biens mal acquis créé en France en 2021 constitue un modèle ambitieux susceptible d’inspirer utilement le législateur européen. L’UE doit en outre consacrer des fonds à des projets transfrontaliers susceptibles d’aider l’Ukraine et les autres pays candidats à l’adhésion à établir des partenariats durables sur l’ensemble du continent.

L’UE devra également piloter de manière transparente et responsable le processus de reconstruction d’après-guerre, en incluant la société civile dans le processus de prise de décision.


Il est essentiel que l’élan politique actuel pour relancer le processus d’élargissement soit conduit dans le cadre des procédures normales de l’Union européenne.

Il est vital pour l’UE et essentiel pour les pays candidats à l’adhésion que ceux-ci remédient à leurs graves lacunes en matière d’État de droit, de lutte contre la corruption et d’indépendance des institutions publiques et du pouvoir judiciaire. Ce n’est pas seulement l’UE qui l’exige, mais aussi les citoyens et la société civile des pays en question, qui font des conditions liées à l’adhésion à l’UE un levier pour réaliser des réformes nationales importantes et conforter la démocratie.

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La transposition formelle de l’ensemble de la législation et de la jurisprudence de l’UE (« acquis communautaire ») ne suffira pas. Les pays candidats doivent également s’attaquer à la capture des institutions étatiques et à la corruption de très haut niveau.

La Commission devrait élargir le champ d’application de ses rapports annuels sur l’État de droit à tous les pays candidats, et non plus seulement à quatre d’entre eux. L’UE doit tirer parti des processus d’élargissement et travailler avec la société civile locale pour aider les pays des Balkans occidentaux et du voisinage oriental à réussir leurs processus de transformation démocratique.


Après le scandale du « Qatargate », le renforcement des règles éthiques institutionnelles et la reconquête de la confiance des citoyens sont une priorité pour toutes les institutions européennes, le Parlement européen qui est au cœur de la démocratie européenne, mais aussi la Commission et le Conseil.

Au cours de la prochaine législature, les institutions devront procéder aux réformes nécessaires pour lutter contre la corruption, renforcer l’intégrité et introduire des règles plus strictes en matière de conflits d’intérêts, de protection des lanceurs d’alerte, d’encadrement des mobilités entre le public et le privé (pantouflages et portes-tournantes), d’utilisation abusive des ressources publiques et d’encadrement du lobbying.

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Priorité de tous en 2019, l’organe éthique indépendant qui va voir le jour in extremis ne constitue qu’une ébauche. Il est essentiel que cet organe éthique indépendant puisse enquêter, sanctionner et superviser l’ensemble des institutions européennes et toutes les catégories de personnel (élus, collaborateurs, personnes nommées et fonctionnaires) en matière de prévention, de détection et de traitement des conflits d’intérêts et des différents manquements à la déontologie. Cet organe éthique doit permettre aux institutions européennes de sortir de l’entre-soi et des arrangements discrets.

Au Parlement, la réforme consécutive au scandale du « Qatargate » ne va pas assez loin. La révélation par les autorités tchèques de l’existence d’un réseau de corruption prorusse qui aurait relayé la propagande prorusse sur l’Ukraine via le site Voice of Europe et soudoyé des députés européens en apporte une nouvelle preuve. Les parlementaires européens devraient n’accepter de recevoir que des lobbyistes enregistrés sur le Registre de transparence, avoir l’obligation de publier l’utilisation de leur indemnité de frais généraux (4500 € par mois) et se soumettre à un contrôle périodique de leur conformité, comme cela existe dans plusieurs parlements nationaux.


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