Haute autorité pour la transparence de la vie publique : pourquoi est-il justifié de demander plus de moyens dans un contexte budgétaire difficile ?

La corruption et la mauvaise gestion engendrent des coûts directs et indirects pour les finances publiques. Il y a coût financier direct lorsque des intérêts privés guident des décisions impliquant des dépenses publiques (favoritisme dans des marchés publics conduisant à ne pas retenir le meilleur prestataire, décisions de financements publics entachées de clientélisme…).

Il y a coût financier indirect lorsque la corruption engendre des dommages indirects pour la collectivité (plans locaux d’urbanisme avantageant des intérêts privés au détriment de l’intérêt d’une commune sur le long terme, autorisations de mise sur le marché de produits dangereux rendues possibles par des conflits d’intérêts…). 

En période de rigueur budgétaire, de tels gaspillages ne sont plus tolérés par les citoyens. Les États en prennent peu à peu conscience, comme le montre leur volonté affichée, depuis la crise financière de 2008, de lutter contre l’évasion de capitaux vers les paradis fiscaux. 

Doter les autorités administratives et judiciaires des moyens de remplir efficacement leur mission doit procéder de la même démarche : consacrer plus de moyens à la lutte contre la corruption, c’est donner plus de garanties quant au bon usage de l’argent public ! Soulignons aussi qu’aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, la transparence peut être assurée à moindre coût. Tout est affaire de volonté politique. 

A titre de comparaison, l’Autorité des marchés financiers, autre autorité administrative indépendante, dispose de 447 collaborateurs et d’un budget de plus de 80 millions d’euros… 

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Encadrement du lobbying à l’Assemblée nationale : les nouveaux formulaires sont en ligne. Représentants d’intérêts, inscrivez-vous !

Annoncés le 1er octobre, date d’entrée en vigueur du nouveau dispositif d’encadrement du lobbying à l’Assemblée nationale, les nouveaux formulaires d’inscription sur le registre des représentants d’intérêts viennent d’être rendus publics. Directement inspirés de ceux en vigueur au sein des institutions européennes (Registre de transparence commun au Parlement et à la Commission), ces formulaires doivent permettre de mieux cerner l’identité et l’activité des différents groupes d’intérêts qui souhaitent rencontrer les députés.

Plusieurs des recommandations portées par Transparency International France entrent ainsi en vigueur. Le 9 octobre dernier, nous avons par ailleurs rencontré Christophe Sirugue, Président de la Délégation chargée des représentants d’intérêts et principale plume de ce nouveau dispositif, qui nous a apporté des précisions.

Un nouveau registre pour plus de transparence

Les informations fournies au nouveau registre seront mises en ligne le 1er janvier 2014. A cette date, entrera également en vigueur le nouveau code de conduite des représentants d’intérêts. Ce délai de deux mois est apparu nécessaire pour permettre aux représentants d’intérêts de s’approprier le formulaire et de s’y inscrire. L’enjeu de transparence est de taille : le registre actuel, mis en place en 2009, ne compte que 238 inscrits alors même que le nombre d’acteurs auditionnés à l’Assemblée nationale se compte en milliers (voir notre étude sur l’influence à l’Assemblée nationale réalisée en 2011[1]).      

Concrètement, 6 formulaires sont mis à disposition pour chaque type de représentant d’intérêts : sociétés de conseil, entreprises privées, organisations professionnelles et syndicats, ONG et associations, groupes de réflexion, organismes de recherche ou universitaires, autorités administratives et organismes publics. Le filtre de la précédente Délégation chargée des représentants d’intérêts, dont nous avons regretté à plusieurs reprises l’opacité des décisions et des critères, sera supprimé : l’inscription, réalisable en ligne, sera automatique.

Conformément à une proposition que nous portions depuis des années, une typologie plus fine des acteurs a été définie. Une distinction est par exemple opérée entre syndicats, associations professionnelles et ONG. Dans le registre actuel, ces différents types d’acteurs sont regroupés dans une même catégorie « Associations ».  En revanche, le statut des associations d’élus, très présentes, reste à suivre.

Autre nouveauté, des informations précises sur les activités conduites annuellement en matière de lobbying devront être renseignées (dossiers législatifs sur lesquels ont porté les activités et détail de celles-ci : auditions, rédactions d’argumentaires, réunions, colloques, etc.), de même que sur les budgets consacrés. Les sociétés de conseil devront également indiquer le nom de leurs clients et les budgets par secteur. De même, tous les acteurs devront indiquer leurs sources de financement.

Pour éviter un faible nombre d’inscrits, l’Assemblée nationale a souhaité valoriser ceux qui feront la transparence. D’une part, un système d’alerte a été créé ainsi que la possibilité de mettre en ligne sa contribution sur un portail Internet dédié. Les députés et rapporteurs seront invités par courrier à consulter ces contributions[2]. D’autre part, conformément à l’une de nos suggestions, ce nouveau registre valorisera les bonnes pratiques déjà adoptées par certains acteurs. Par exemple, les entreprises qui se sont dotées d’une charte de lobbying pourront y faire référence dans le registre.

En cas de manquement, le représentant d’intérêts sera exclu du registre. Les citoyens auront là un rôle important à jouer puisqu’ils pourront porter à la connaissance de la Délégation chargée des représentants d’intérêts d’éventuels manquements.

Rappelons néanmoins que l’inscription sur le registre ne sera toujours pas obligatoire[3].

Des règles qui visent aussi les députés, garants de l’intérêt général et agissant sur fonds publics

Une recommandation, portée par Transparency International France depuis le début, a été adoptée : outre ce nouveau registre, une instruction générale du Bureau, adoptée le 1er octobre, instaure l’obligation pour les députés de mentionner dans les rapports parlementaires la liste de l’ensemble des auditions menées par le rapporteur. Si aucune audition n’a été réalisée, le rapport devra le signaler. Cette obligation découle directement de l’un des principaux constats de notre étude sur l’influence à l’Assemblée nationale : 62% des rapports analysés ne comportaient aucune mention des personnes et organisations auditionnées.

Le nombre de collaborateurs bénévoles sera limité à deux par député afin d’empêcher que certains représentants d’intérêts bénéficient de badges permanents. Toute demande de badge de collaborateur bénévole ne sera autorisée que « pour des raisons familiales, pour des stagiaires ou, éventuellement, en lien avec un mandat local ou une responsabilité dans un organisme extérieur. »

Enfin, l’organisation de colloques à l’Assemblée sera mieux encadrée. Il sera désormais interdit d’organiser des colloques à l’Assemblée dans lesquels les participants interviennent parce qu’ils ont payé.

Un dispositif évalué tous les ans, une recommandation portée par Transparency International depuis le début 

Au-delà de ces nouvelles dispositions, le point sur lequel notre association accorde aussi beaucoup d’importance est la démarche de progrès dans laquelle Christophe Sirugue nous a assuré s’inscrire. Ainsi que nous le demandons depuis 4 ans, une évaluation du dispositif sera réalisée chaque année avec la publication d’un rapport annuel. Le dispositif a donc vocation à être amélioré au fil du temps, au regard des pratiques constatées. Nous souhaitons que cette évaluation soit faite de manière concertée.

A suivre

Nous réitérons certaines de nos recommandations, notamment les règles applicables aux parlementaires :

– L’inscription enfin dans le Règlement de l’Assemblée (la loi intérieure de l’Assemblée) de la question du lobbying et de son encadrement.

La mise en ligne par les parlementaires de l’agenda de leurs rencontres avec des représentants d’intérêts (empreinte individuelle) afin que  les citoyens puissent y avoir accès.

– La publication de l’ensemble des contributions transmises aux parlementaires, y compris celles adressées par des groupes d’intérêts non inscrits sur le registre. La transparence doit s’appliquer aux positions de toutes les personnes et organisations qui souhaitent prendre part au débat public, en faisant valoir ses informations et arguments.

– La mise en place un code de déontologie pour les collaborateurs parlementaires et les fonctionnaires des assemblées. Au cours des débats autour des projets de loi sur la transparence de la vie publique, Jean-Jacques Urvoas, rapporteur des textes, avait indiqué que des propositions avaient été transmises au Bureau de l’Assemblée. Nous appelons le Bureau de l’Assemblée et les députés à les mettre en œuvre.

– Le renforcement du principe selon lequel ce qui se passe dans les assemblées l’est sous le regard des citoyens : un mécanisme de plainte, en cas de dérives, devrait être formalisé sur le modèle de celui qui existe au niveau des institutions européennes.

L’adoption enfin d’un dispositif commun à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il n’est pas normal d’avoir, en France, des règles différentes d’une assemblée à l’autre.

Un dispositif qui doit être étendu à tous les acteurs publics

La question de l’encadrement du lobbying se posant pour l’ensemble des acteurs participant à l’élaboration des décisions publiques (Sénat, cabinets ministériels, administrations centrales, agences nationales, lieux d’expertise…), nous les invitons à s’inspirer de l’Assemblée nationale et à se doter aussi de règles devant permettre de garantir l’équité d’accès aux décideurs publics, d’assurer l’intégrité des échanges, de publier les informations reçues, et la traçabilité de la décision publique. Notre association sera particulièrement vigilante sur les lignes directrices qui devront être établies par la Haute autorité pour la transparence ainsi que par leur mise en œuvre par l’ensemble des lieux de la décision publique.

L’ensemble des représentants d’intérêts (entreprises, cabinets de conseil, associations professionnelles, ONG, syndicats, think tank, autorités indépendantes…) est invité à s’inscrire sur ce nouveau registre.

Alors que de plus en plus de professionnels du lobbying s’expriment pour faire part de leur engagement en faveur d’un lobbying responsable, ils ont aujourd’hui l’occasion de passer des paroles aux actes !

Enfin, les parlementaires sont invités désormais à distinguer activement les acteurs qui font la transparence sur leur identité, leur activité et leurs positions et à concourir eux-mêmes au renforcement de la transparence afin de restaurer la confiance.


[1] Avec Regards Citoyens

[2] Christophe Sirugue nous a indiqué que le Bureau de l’Assemblée nationale allait adresser un courrier à tous les députés pour leur faire connaître le dispositif et les inviter à consulter le registre.

[3] Dans nos bilans publiés en 2010 et 2011 sur le dispositif de l’Assemblée nationale, nous avions montré l’échec du registre : très peu de lobbyistes étaient enregistrés du fait de l’absence d’avantages à s’y inscrire.

>> Retrouvez tous nos travaux sur l’encadrement du lobbying à l’Assemblée nationale

 

Transparence de la vie publique : Transparency International France exprime ses inquiétudes quant à une possible censure par le Conseil constitutionnel

Les lois sur la transparence de la vie publique, adoptées par le Parlement le 17 septembre, sont en cours d’examen par le Conseil constitutionnel. Celui-ci devrait rendre sa décision jeudi 10 octobre. Alors que des indications sur l’orientation que pourrait prendre le Conseil constitutionnel ont filtré dans la presse, nous exprimons nos vives inquiétudes quant à une possible censure des textes. Pour notre président Daniel Lebègue, « une telle décision, si elle était prise, risque de donner le signal d’une incapacité de la France à réformer ses règles et pratiques de vie démocratique ».

Paris, 8 octobre 2013. Les citoyens sont de plus en plus attentifs aux conditions dans lesquelles sont prises les décisions publiques qui les concernent et attendent de leurs représentants qu’ils soient exemplaires. Dans un courrier adressé au Président du Conseil constitutionnel le 20 septembre dernier, nous indiquions que les lois sur la transparence de la vie publique devaient permettre de répondre à cette attente et contribuer ainsi à régénérer le contrat de confiance entre élus et citoyens.

Ces derniers jours pourtant, plusieurs médias se sont fait l’écho d’une possible censure par le Conseil constitutionnel de certaines dispositions majeures (publication des déclarations d’intérêts, obligation pour les élus de déclarer leur patrimoine, renforcement des incompatibilités, encadrement des micro-partis…). La suppression de certaines mesures conduirait par ailleurs mécaniquement à en rendre inopérants d’autres, notamment la mise en œuvre d’un contrôle citoyen. Rappelons que ces dispositions existent déjà dans de nombreux pays.

L’enjeu est d’importance alors que, sur plusieurs points, la France est en retrait par rapport à la plupart de ses partenaires de l’Union Européenne :

– Transparence de la vie publique. Comme l’avait révélé une étude de Transparency International comparant les systèmes anti-corruption de 25 pays européens, la France s’inscrit parmi les pays les plus en retard en matière de transparence de la vie publique. Ainsi, elle est, jusqu’à aujourd’hui, le seul pays avec la Slovénie, à ne pas rendre publiques les déclarations d’intérêts, de revenus ou de patrimoine de ses responsables publics. De même, en matière d’encadrement du lobbying, la France n’a pas encore le cadre et le degré de transparence visés par exemple au Canada ou même au sein des institutions européennes.

Indépendance de la justice. A plusieurs reprises, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en raison du lien hiérarchique existant entre le parquet et le ministère de la Justice. Selon cette institution, dans la mesure où les magistrats du parquet ne présentent pas les garanties d’indépendance, ils ne peuvent être considérés comme des autorités judiciaires. La dernière condamnation remonte au 27 juin dernier. Rappelons que, suite à un blocage au Sénat, le projet de loi devant réformer le Conseil supérieur de la magistrature a été suspendu en juillet et reporté à une date indéterminée.

– Protection des lanceurs d’alerte. Parmi la soixantaine de pays ayant adopté une législation protégeant les lanceurs d’alerte éthique, la France est le seul à ne pas avoir inclus le secteur public. Ainsi, les lanceurs d’alerte sont très souvent victimes de représailles comme en témoignent plusieurs exemples récents : Mediator, BAC de Marseille, Conseil général des Hauts-de-Seine…

– Lutte contre la corruption transnationale. Comme vient de le rappeler le rapport publié aujourd’hui par Transparency International sur la mise en œuvre de la Convention OCDE, la France se caractérise toujours par un nombre très faible d’enquêtes et de sanctions en matière de corruption dans le commerce international. A ce jour, seulement dix enquêtes ont été ouvertes en France depuis 2009 pour corruption d’agent public étranger contre 78 en Allemagne et 87 aux Etats-Unis.

Si le Conseil constitutionnel décidait effectivement de censurer certaines dispositions importantes des lois sur la transparence de la vie publique, il risquerait d’envoyer un signal négatif à nos concitoyens et à nos partenaires dans le monde. En effet, une telle décision ne manquerait pas de susciter l’incompréhension et, plus grave encore, de donner l’impression d’une véritable régression de nature à altérer encore un peu plus la confiance, déjà très dégradée, des citoyens dans la parole et l’action publique.

Nous espérons que les Sages du Conseil constitutionnel reconnaîtront au contraire ces lois comme des progrès de la vie démocratique, permettant à la France de se hisser dans le groupe des pays que l’on cite en exemple pour l’intégrité et la transparence de leur vie publique.