Moralisation de la vie publique : premières réactions de Transparency International France aux annonces de François Hollande

Nous accueillons positivement les annonces faites aujourd’hui par François Hollande qui reprennent pour l’essentiel des propositions que nous défendons depuis des années.

Nous appelons l’ensemble de la société civile et des Français à rester mobilisés au cours des prochains mois pour que ces annonces soient effectivement votées et appliquées.

Dans cette optique, nous réitérons notre appel à faire de la lutte contre la corruption et de l’éthique de la vie publique la prochaine grande cause nationale :  www.chaquesignaturecompte.com.

La fin du cumul des mandats étant le grand absent des annonces faites aujourd’hui, nous appelons enfin François Hollande à revoir son calendrier sur le sujet et à appliquer dès 2014 la fin du cumul des mandats. 

>> Retrouvez notre communiqué complet sur notre site 

 

Prévention des conflits d’intérêts, contrôle des déclarations de patrimoine : que faut-il changer ?

En réaction à l’affaire Cahuzac, François Hollande a déclaré vouloir « lutter de manière impitoyable contre tous les conflits d’intérêts » et annoncé la publication et le contrôle du patrimoine des élus. Sur ces deux sujets en effet, rien ou presque n’a  encore été fait en dépit des déclarations de tous bords depuis plusieurs années.

Prévention des conflits d’intérêts, où en est-on ?

La question de la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique a pris une importance croissante depuis juin 2010, point de départ de l’affaire Woerth-Bettencourt. Si la classe politique s’est unanimement prononcée en faveur d’une réglementation des conflits d’intérêts, la traduction en actes concrets s’avère plus laborieuse. A ce jour, aucune loi n’a été encore été adoptée. La préparation d’un projet de loi a été confiée à Alain Vidalies, ministre des relations avec le Parlement, qui devrait le présenter au cours des prochaines semaines, voire des prochains jours.

Ce texte, très attendu, sera-t-il à la hauteur des ambitions affichées ?

Pour cela, il devra déjà reprendre l’ensemble des propositions formulées en novembre dernier par la commission Jospin saluées par notre association. Celles-ci prévoyaient notamment : la publication de déclarations d’intérêts qui doivent être les plus complètes possibles, le déport en cas de conflit d’intérêts, un renforcement du régime des incompatibilités, la création d’une Autorité de déontologie de la vie publique – qui doit être dotée de réels moyens d’investigation et de sanction –,  des règles pour le passage dans le secteur privé et, enfin,  la mise en place d’un dispositif d’« alerte éthique » devant permettre un contrôle citoyen.

Nous serons également très attentifs au périmètre de cette loi. Ces dispositions doivent en effet s’appliquer le plus largement possible : aux membres du gouvernement, à leurs collaborateurs, aux hauts fonctionnaires, mais aussi et surtout aux parlementaires et aux élus locaux !

C’est seulement s’il adopte l’ensemble de ces mesures que le gouvernement évitera de répéter le précédent du gouvernement Fillon qui, après avoir commandé un rapport contenant d’excellentes propositions – le rapport de la Commission Sauvé –, avait finalement décidé de ne pas retenir les principales propositions.  Ce projet de loi n’avait d’ailleurs jamais inscrit à l’ordre du jour du Parlement…

Contrôle des déclarations de patrimoine : dépasser enfin le syndrome de la coquille vide

François Hollande a également annoncé un contrôle renforcé des déclarations de patrimoine ainsi que leur publication. Il était temps ! En effet, comme notre association a eu l’occasion de le déplorer à de multiples reprises, la Commission chargée de contrôler ces déclarations (Commission pour la transparence financière de la vie politique) n’a pas les moyens de remplir efficacement sa mission [1]. La Commission le souligne elle-même depuis des années.  

Pour pouvoir assurer efficacement son rôle de contrôle, la Commission – ou la future Autorité de déontologie qui pourrait reprendre sa mission – doit dès lors être dotée :

  • des moyens et pouvoirs des magistrats financiers afin, par exemple, de pouvoir accéder aux documents bancaires et fiscaux ;
     
  •  de 4 ou 5 investigateurs spécialistes des enquêtes financières (Police, fisc…) détachés auprès de la Commission ;
     
  • du personnel nécessaire à la gestion du volume additionnel découlant des déclarations d’intérêts et de leur publication.

Par ailleurs et comme elle le réclame elle-même, la Commission devrait pouvoir :

  • avoir accès aux revenus et avantages en nature perçus par les élus et dirigeants d’organismes publics pendant la durée de leur mandat afin de pouvoir mieux mesurer le caractère anormal ou non d’un enrichissement ;
     
  • étendre ses investigations au patrimoine des proches afin d’empêcher les stratégies de contournement liées à un régime patrimonial particulier ;
     
  • sanctionner, à hauteur de 15 000 € d’amende, en cas de refus par l’intéressé de transmettre ses déclarations fiscales, afin de favoriser la transmission spontanée des documents à la Commission.

Des parlementaires à convaincre : le précédent de 2011

Le débat parlementaire autour d’une proposition de loi, adoptée en avril 2011, qui visait déjà à renforcer le contrôle des déclarations de patrimoine, est un exemple révélateur de la frilosité de certains élus sur cette question.

Alors que l’un des enjeux de la proposition de loi était de doter la Commission de réels moyens d’investigation et de contrôle, le texte a été largement affaibli au cours de la discussion à l’Assemblée. Si une sanction des fausses déclarations a (enfin) été adoptée – avant n’était sanctionnée que l’absence de déclaration ! –, deux conditions ont été introduites qui en limitent la portée : le juge doit prouver que l’élu a « sciemment » omis de déclarer « une part substantielle » de son patrimoine ou qu’il en a fourni une évaluation mensongère. Deux conditions assez subjectives comme on peut l’imaginer. La sanction elle-même a fait l’objet d’un débat houleux, certains parlementaires y étant totalement opposés.

Une autre des avancées contenues dans le texte initial était l’extension de la déclaration de patrimoine aux revenus perçus au cours du mandat. Pendant la discussion à l’Assemblée, cette disposition a été supprimée. L’extension aux avantages en nature n’a, elle, même pas été évoquée. Enfin, la disposition permettant à la Commission de demander aux élus une information sur la situation patrimoniale de leur conjoint a été abandonnée.

Pour montrer sa réelle détermination à moraliser la vie publique, le gouvernement devra donc se montrer ambitieux dans les textes qu’il soumettra au Parlement. Tout aussi important sera l’attitude des parlementaires qui devront débattre, puis adopter ces lois. Nous serons là-aussi très vigilants afin de nous assurer que tous ceux, qui crient actuellement haut et fort leur indignation, saisiront bien l’occasion qui leur est donnée de mettre fin à certaines pratiques qui minent la confiance des Français dans leurs institutions.

[1] La Commission a pour mission, en observant l’évolution de la situation patrimoniale des personnes assujetties, de s’assurer qu’elles n’ont pas bénéficié d’un enrichissement anormal du fait de leurs fonctions. Dans le cas où elle constate des irrégularités, elle transmet le dossier au parquet, après avertissement de l’intéressé qui est libre de faire ses observations.

Mesures annoncées par François Hollande – La question de l’inéligibilité des élus corrompus

Lors de son intervention hier sur l’affaire Cahuzac, François Hollande a déclaré que les élus condamnés pour fraude fiscale ou corruption seraient interdits de tout mandat public. Le Président de la République reprend ainsi l’une de nos 7 propositions sur lesquelles il s’était engagé pendant la campagne présidentielle.

L’inéligibilité à vie des élus condamnés pour corruption peut-elle déclarée anti-constitutionnelle ?

Comme de nombreux observateurs aujourd’hui, nous nous sommes également posé la question. Le Conseil constitutionnel ayant censuré en 2010 l’article L.7 du Code électoral qui prévoyait une inéligibilité automatique pour les élus condamnés pour des délits financiers, nous avions aussi des doutes quant à la compatibilité de l’inéligibilité à vie avec la constitution et la Déclaration européenne des Droits de l’Homme. Ainsi, notre proposition initiale était de porter de 5 à 10 ans le plafond de la peine d’inéligibilité des élus condamnés pour corruption.

Nos recherches complémentaires nous ont depuis conduits à considérer que seule l’automaticité de cette peine serait contraire aux droits fondamentaux, au nom du principe fondamental de l’individualisation des peines. Par ailleurs, toute peine prononcée à vie doit toutefois pouvoir faire l’objet d’une procédure de réhabilitation ou de modification.

Dès lors, nous estimons que dix ans d’inéligibilité devrait être un minimum et non pas un maximum et qu’il faut donner la possibilité aux juges, au cas par cas, d’aller plus loin jusqu’à pouvoir prononcer une inéligibilité à vie pour les malversations les plus graves.

Une telle peine existe-t-elle dans d’autres pays ? 

La peine d’inéligibilité existe dans plusieurs autres pays. Au Danemark par exemple, une personne qui a été jugée coupable pour un « acte considéré comme indigne par le public » ne peut être élue au Parlement.