CONVENTION JUDICIAIRE D’INTERET PUBLIC : OUTIL DE REPRESSION AU SERVICE DE L’INTERET GENERAL OU OPPORTUNITE DE GESTION DES RISQUES POUR LE SECTEUR PRIVE ?

CONVENTION JUDICIAIRE D’INTERET PUBLIC : OUTIL DE REPRESSION AU SERVICE DE L’INTERET GENERAL OU OPPORTUNITE DE GESTION DES RISQUES POUR LE SECTEUR PRIVE ?

Publié le 12 octobre 2020

Par Sara Brimbeuf, responsable du plaidoyer international chez Transparency International

Par Laurence Fabre, responsable du secteur privé chez Transparency International

Le 9 décembre 2016, la France se dotait pour la première fois d’un dispositif répressif transactionnel pour poursuivre et condamner les atteintes à la probité. La Convention Judicaire d’Intérêt Public (CJIP) permet en effet à une entreprise, à l’initiative du ministère public, de conclure une transaction pénale dont l’intérêt majeur pour elle est de ne pas afficher de déclaration de culpabilité ni casier judiciaire, dès lors qu’elle reconnait les faits.

Le bilan chiffré depuis près de 4 ans est incontestable : 11 CJIP conclues avec des acteurs figurant parmi les plus puissants sur la scène économique et financière, dont trois portant sur des faits de corruption d’agent public étranger, près de 600 millions d’euros recouvrés par les autorités françaises et une coopération internationale inédite avec les autorités britannique et américaine, notamment dans l’affaire Airbus qualifiée de « la plus importante résolution d’affaire de corruption au niveau mondial à ce jour » par les autorités américaines. Il faut s’en féliciter.

On constate également que dans l’affaire UBS, les juges n’ont pas hésité à condamner très sévèrement l’entreprise en première instance, reprenant intégralement les réquisitions du parquet et confortant en cela la position du Ministère Public qui avait proposé une CJIP refusée par UBS.

Cette réalité ne doit toutefois pas éluder les risques de dévoiement et la nécessaire vigilance que ce dispositif requiert. La CJIP doit rester une sanction et non devenir un outil de gestion des risques par l’entreprise une fois qu’une enquête a été ouverte. En effet, l’objectif de cette justice transactionnelle est de favoriser, par un mécanisme incitatif, la coopération des entreprises dans la poursuite même des faits de corruption qui les affectent.

Or, force est de constater que dans les affaires conclues par une CJIP, aucune entreprise n’est à l’origine de la dénonciation des faits poursuivis.

Il est en outre difficile de porter une appréciation comparative – entre le montant effectif des fraudes et l’amende négociée – sur les CJIP conclues dans la mesure où la négociation ayant présidé à la CJIP est couverte par le secret, de sorte que le contenu des CJIP accessibles reste une synthèse peu lisible à cet égard. Cela est d’autant plus vrai en matière internationale dans la mesure où il n’existe pas de lignes directrices précisant les critères relatifs à la répartition des poursuites et des amendes entre les autorités de poursuite des pays concernés.

Enfin, soulignons également le peu de place que ce nouveau dispositif laisse à la victime, laquelle ne peut que faire valoir son préjudice, ne participe pas aux négociations et ne dispose pas de recours permettant de la remettre en cause. Alors que les conséquences néfastes de la corruption sur la société ne sont plus à démontrer, le nouvel arsenal juridique de la France pour lutter contre la corruption ne permet toujours pas à la victime alléguant un préjudice de prendre une place effective et incontournable dans la sanction de ce fléau.

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