Haute autorité pour la transparence de la vie publique : pourquoi est-il justifié de demander plus de moyens dans un contexte budgétaire difficile ?

La corruption et la mauvaise gestion engendrent des coûts directs et indirects pour les finances publiques. Il y a coût financier direct lorsque des intérêts privés guident des décisions impliquant des dépenses publiques (favoritisme dans des marchés publics conduisant à ne pas retenir le meilleur prestataire, décisions de financements publics entachées de clientélisme…).

Il y a coût financier indirect lorsque la corruption engendre des dommages indirects pour la collectivité (plans locaux d’urbanisme avantageant des intérêts privés au détriment de l’intérêt d’une commune sur le long terme, autorisations de mise sur le marché de produits dangereux rendues possibles par des conflits d’intérêts…). 

En période de rigueur budgétaire, de tels gaspillages ne sont plus tolérés par les citoyens. Les États en prennent peu à peu conscience, comme le montre leur volonté affichée, depuis la crise financière de 2008, de lutter contre l’évasion de capitaux vers les paradis fiscaux. 

Doter les autorités administratives et judiciaires des moyens de remplir efficacement leur mission doit procéder de la même démarche : consacrer plus de moyens à la lutte contre la corruption, c’est donner plus de garanties quant au bon usage de l’argent public ! Soulignons aussi qu’aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, la transparence peut être assurée à moindre coût. Tout est affaire de volonté politique. 

A titre de comparaison, l’Autorité des marchés financiers, autre autorité administrative indépendante, dispose de 447 collaborateurs et d’un budget de plus de 80 millions d’euros… 

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Contrôle des déclarations d’intérêts et de patrimoine : la Haute Autorité doit être dotée des moyens de remplir pleinement sa mission

Dans ses grandes lignes, le dispositif de prévention des conflits d’intérêts et de lutte contre l’enrichissement illicite des responsables publics présenté mercredi va dans la bonne direction. Cependant, ces règles risquent de rester inopérantes si l’on ne dote pas la Haute Autorité de la transparence de la vie publique des moyens nécessaires à sa mission.

Qu’est-ce qui va changer avec la Haute Autorité ?

La Haute Autorité se voit dotée pour l’essentiel des missions de la Commission pour la transparence financière de la vie politique (CTFVP) qui existe depuis 1988 – contrôler la variation du patrimoine des élus entre le début et la fin du mandat afin de détecter tout enrichissement illicite –, mais pour un nombre de déclarants en hausse de 25%.

A cette mission s’ajoutent plusieurs nouveautés que l’on peut saluer :  

  • la Haute Autorité devra contrôler les déclarations d’intérêts des responsables publics ;
  • elle rendra des avis – tenus secrets – à la demande des déclarants sur les questions d’ordre déontologique ;
  • elle devra donner son avis sur le départ vers le secteur privé des membres du Gouvernement et des titulaires des fonctions exécutives locales les plus importantes (pantouflage)[1] ;
  • elle pourra être saisie par les associations anti-corruption. Sur ce point, nous demandons d’élargir cette possibilité de saisine à tous les citoyens.

Alors que tout l’enjeu de la réforme est de garantir que les règles seront effectivement appliquées et les manquements sanctionnés, les moyens dont disposera la Haute Autorité doivent être renforcés.

Les nouvelles missions de la Haute Autorité nécessiteront en effet une bien plus grande disponibilité de ses membres. Or le projet de loi prévoit de réduire à 7 le nombre des membres titulaires contre 9 actuellement pour la CTFVP.

Par ailleurs, concernant les moyens d’action, le seul changement que l’on constate par rapport à ceux de la Commission pour la transparence financière de la vie politique sera la possibilité, pour la Haute Autorité, de demander des précisions aux administrations[2]. Cela est largement insuffisant pour au moins trois raisons :

1) La Haute Autorité restera dépendante en termes d’accès aux données de l’exécutif et du bon vouloir des administrations de coopérer ;

2) Du fait du degré de saturation des services fiscaux, les réponses aux injonctions de la Haute Autorité pourront prendre beaucoup de temps. De surcroît, le principe et l’étendue des investigations additionnelles demeureront à leur discrétion ;

3) A l’inverse des dispositions législatives adoptées pour d’autres Autorités administratives indépendantes, le projet de loi reste muet sur les moyens budgétaires, ne prévoyant que la mise à disposition de fonctionnaires.

Afin de garantir son indépendance et sa maîtrise du calendrier, il est indispensable que la Haute Autorité dispose de moyens d’enquête en propre et notamment d’enquêteurs (tels que des agents du fisc et de la police) détachés auprès d’elle. Cela doit lui permettre, non pas de se substituer aux autorités judiciaires, mais au contraire de ne les saisir que lorsque ses présomptions sont suffisamment documentées.  

Rappelons que la plupart des autorités administratives indépendantes, que ce soit l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de contrôle prudentiel ou encore la Commission de régulation de l’énergie, parmi bien d’autres, disposent de moyens d’enquête et de sanction.

La possibilité de demandes d’investigation hors de France doit également être prévue afin de permettre l’accès aux comptes bancaires à l’étranger (entraide administrative).

Nous appelons les parlementaires à renforcer les moyens et l’indépendance de la Haute Autorité

Un autre point de détail a aussi retenu notre attention. Si on donne la possibilité à la Haute Autorité d’avoir accès aux déclarations des conjoints séparés de biens, des partenaires de Pacs et des concubins (ce qui n’était pas le cas auparavant), une ambiguïté dans la rédaction du texte[3] laisse entendre que les services fiscaux pourront se contenter de donner des extraits des dossiers dont ils disposent. Or depuis une loi votée en 2011, la Commission pour la transparence financière de la vie politique dispose de l’accès aux dossiers fiscaux dans leur intégralité. Il ne s’agit peut-être que d’une erreur de rédaction, mais si elle n’est pas corrigée, elle pourrait conduire à un retrait par rapport aux pouvoirs obtenus par la Commission en 2011.

La balle étant désormais dans le camp des parlementaires, nous les appelons à renforcer les textes sur l’ensemble de ces points afin d’éviter, une nouvelle fois, la création d’une coquille vide en matière de transparence de la vie publique.

>> Retrouvez nos propositions d’amendements


[1] Cette mission est aujourd’hui répartie entre deux instances (les Commissions de déontologie) qui totalisent deux fois plus de membres que la Haute Autorité.
[2] Un droit qu’elle a acquis en 2011 pour les déclarations d’impôts sur le revenu et sur la fortune.

[3] « L’administration fiscale disposera de 60 jours pour communiquer à la Haute Autorité tous éléments utiles à son contrôle de l’exhaustivité, de l’exactitude et de la sincérité de cette déclaration. »