Conflits d’intérêts, cadeaux, voyages à l’étranger : des règles éthiques à renforcer

L’émission Cash investigation consacrée hier à la diplomatie économique met en lumière un certain nombre de pratiques qui, si elles ne relèvent pas toutes du code pénal, risquent de détériorer encore un peu plus la confiance des citoyens envers leurs élus.

On y apprend ainsi que, lors de voyages officiels à l’étranger, certains élus peuvent se voir offrir de luxueux cadeaux par des États étrangers sans même en connaître la valeur exacte ou que d’autres y trouvent les fonds pour rénover le patrimoine de leur circonscription en échange d’un soutien à la promotion en France dudit pays.

Plus grave, l’émission revient sur l’affaire du « kazakhgate » qui fait aujourd’hui l’objet d’une instruction judiciaire ainsi que sur les soupçons de conflits d’intérêts liés au dépôt par une eurodéputée d’amendements au Parlement européen en faveur de l’industrie gazière et des pays du Caucase, grands exportateurs de cet hydrocarbure.

Cette dernière affaire, si elle est avérée, illustre les risques inhérents à l’exercice, par des élus, d’activités de conseil au profit d’intérêts privés. Ce risque est d’autant plus important lorsque le secret professionnel des avocats est invoqué pour ne pas citer le nom de ses clients dans sa déclaration d’intérêts. 

Rappelons que les déclarations d’intérêts rendues publiques sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) révèlent que 10 à 15% des parlementaires ont des activités privées annexes, dont une vingtaine pour qui ces activités génèrent des revenus supérieurs à 100 000 euros par an. 

Au Parlement européen, une étude de notre bureau à Bruxelles avait montré que 12 eurodéputés avaient des revenus annexes dépassant 10 000 euros par mois. Les déclarations étant moins détaillées que celles demandées par la HATVP, il est cependant impossible de connaître leur montant exact. Lorsqu’une activité privée génère autant de revenus, on peut légitimement se demander si le parlementaire a le temps d’exercer efficacement son mandat et si ses décisions sont réellement prises au nom de l’intérêt général.

L’interdiction d’exercer des activités de conseil en parallèle d’un mandat public ayant été jugée inconstitutionnelle, des règles déontologiques précises doivent être édictées afin d’éviter ce type de situations. Passage en revue de nos principales recommandations :

Publier la liste des cadeaux, invitations, voyages reçus par les élus et interdire les cadeaux au-delà d’un certain montant. Plusieurs collectivités, comme Paris ou Nantes, interdisent déjà aux élus d’accepter les cadeaux, libéralités et invitations d’une valeur supérieure à 150€ et à remettre tous les cadeaux d’une valeur inférieure à 150€ à la collectivité ;

Instaurer un plafond maximal pour la rémunération issue des activités annexes exercées par les parlementaires en parallèle de leur mandat ;

Déclarer le nom de ses clients et/ou les secteurs pour lequel des activités de conseil sont conduites. Le secret professionnel ne devrait plus pouvoir être invoqué comme le prévoit d’ailleurs la récente décision du Conseil national des Barreaux qui oblige désormais les avocats, ayant des activités de lobbying, à s’inscrire sur les registres des représentants d’intérêts et à dévoiler le nom de leurs clients. Un parlementaire (national ou européen) devrait faire de même dans sa déclaration d’intérêts ;

Généraliser la règle du déport en cas de conflit d’intérêts : les élus doivent déclarer oralement leurs intérêts et s’abstenir d’être nommés rapporteur d’un texte, de déposer des amendements ou de participer au vote sur le sujet concerné ;

Instaurer, au sein du Parlement européen, dans toutes les collectivités et administrations françaises, des organes de déontologie indépendants, chargés de veiller au respect de ces règles et pouvant prendre des sanctions en cas de manquement.  Ces organes devraient également avoir un rôle de conseil et de formation, en lien avec la HATVP.

Enfin, les entreprises et autres organisations ayant des activités de lobbying doivent s’interdire de recruter des anciens décideurs publics avant la fin du délai de carence prévue et de mandater ou rémunérer des personnes exerçant des responsabilités publiques pour représenter ou favoriser leurs intérêts. 

Indépendance de la justice : Transparency International France exprime son inquiétude

Pendant la campagne présidentielle, François Hollande s’était engagé à renforcer l’indépendance de la justice en « réformant le mode de nomination des magistrats du parquet pour l’aligner sur celui des magistrats du siège » et en réformant le Conseil supérieur de la magistrature « afin de le soustraire aux influences politiques« . Cet engagement s’est traduit par la présentation par le Gouvernement de deux projets de loi. Leur adoption semble pour l’instant compromise.

En effet, face au refus des sénateurs de modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le Gouvernement a été contraint de suspendre cette réforme le 4 juillet dernier. Les sénateurs ont par ailleurs supprimé une disposition prévue dans le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux qui visait à interdire les instructions individuelles du ministre de la Justice. Cette disposition a heureusement été rétablie par la Commission des lois de l’Assemblée nationale et le projet est discuté en séance publique aujourd’hui et demain.

Alors que la France vient d’être condamnée une nouvelle fois par la Cour européenne des droits de l’Homme, nous exprimons notre inquiétude face à ces atermoiements et rappelons l’importance de mieux garantir l’indépendance de la justice

>> Lire notre communiqué dans son intégralité 

Indépendance de la justice : où en est-on ?

Lors de son intervention le 3 avril sur l’affaire Cahuzac, François Hollande a déclaré vouloir « renforcer l’indépendance de la Justice » en faisant adopter dès cet été la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Sur ce sujet, un projet de loi devrait être débattu à l’Assemblée nationale les 28 et 29 mai et examiné par le Parlement réuni en Congrès le 22 juillet prochain.

François Hollande a également exprimé son intention de renforcer les moyens de lutte contre la grande délinquance économique et financière et les paradis fiscaux via la création d’un parquet financier national et d’un office central de lutte contre la fraude et la corruption. Des projets de loi devraient être présentés le 7 mai prochain. Pour qu’ils puissent jouer pleinement leur rôle, ils devront eux aussi avoir les moyens de poursuivre et de juger en toute indépendance.

Réforme du CSM et fin des instructions individuelles

Garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la discipline des magistrats, le CSM intervient aussi lors de la nomination des magistrats. Le ministre de la Justice  doit obligatoirement obtenir l’accord du CSM pour la nomination des magistrats du siège. En revanche, s’agissant des magistrats du parquet, le gouvernement est libre de passer outre l’avis du Conseil. Le projet de réforme devrait mettre fin à ce traitement différencié.

Le texte prévoit également de modifier la composition du CSM. Le nombre de personnalités extérieures qualifiées sera ramené de six à cinq afin que chaque formation du CSM soit désormais composée majoritairement de magistrats[1]. Ces personnalités extérieures seront nommées par un collège indépendant[2] et soumises à l’approbation des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat à la majorité des 3/5èmes

Nous estimons que le gouvernement ne doit cependant pas s’arrêter là. Le mode de nomination des magistrats au sein du CSM, archaïque et peu démocratique, doit lui-aussi être revu. Aujourd’hui en effet, les magistrats siégeant au CSM sont, pour la plupart, élus par des collèges restreints de présidents de juridictions et donc non représentatifs de l’ensemble de la magistrature (en particulier les juges de rang inférieur). Pour que la France se conforme enfin aux standards européens – qui préconisent une instance composée de magistrats « élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large de ceux-ci » –, les magistrats membres du CSM doivent être élus au sein d’un collège unique et au scrutin direct à la proportionnelle impliquant plus largement les magistrats. Notre association invite donc les parlementaires à compléter le texte en ce sens lors des prochains débats à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Outre cette réforme du CSM, un autre projet de loi a été présenté le 27 mars dernier par Christiane Taubira qui vise à interdire les instructions individuelles du ministre de la Justice aux magistrats du parquet. Si ce texte est adopté – et effectivement appliqué –, il s’agira d’une avancée indéniable. En effet, trop souvent par le passé, on a assisté à une ingérence flagrante de l’exécutif dans certaines affaires sensibles. La difficile ouverture d’une instruction dans l’affaire des « Biens mal acquis » en est une bonne illustration. 

Des annonces encore insuffisantes

En dépit de ces annonces, une réelle indépendance de la justice n’est pas encore pour demain. Ainsi, le projet de réforme du CSM ne contient aucune remise en cause du pouvoir déterminant du ministère de la Justice sur la carrière des magistrats : c’est lui qui sélectionne les juges dont la nomination est ensuite proposée au CSM. Celui-ci peut uniquement s’opposer à une nomination, non pas y substituer une autre de son choix. Cette situation explique comment des nominations controversées ont pu avoir lieu. En 2009, Michèle Alliot-Marie alors ministre de la Justice a ainsi proposé et nommé, avec l’aval du CSM, François Molins comme avocat général à la Cour de cassation, alors qu’il quittait tout juste son poste de directeur de cabinet du garde des Sceaux. Un bel exemple de pantouflage que le Conseil d’Etat avait finalement annulé.

La réforme ne remet pas non plus en question la possibilité pour le Garde des sceaux de poursuivre les magistrats et donc de faire un usage politique de l’arme disciplinaire. Le juge Renaud Van Ruymbeke en fut une victime emblématique dans le cadre de l’affaire Clearstream. A cela s’ajoute enfin le fait que l’inspection des services judiciaires, en charge des enquêtes disciplinaires, est, elle aussi, toujours aux ordres du ministre.

La réforme de la justice apparaît dès lors encore incomplète sous de nombreux aspects. Pour que l’engagement pris par François Hollande pendant la campagne présidentielle et réaffirmé ces derniers jours soit réellement effectif, le gouvernement et les parlementaires devront témoigner d’une ambition à la hauteur de l’enjeu et donner aux projets de réforme les moyens d’atteindre leur objectif : donner à la séparation des pouvoirs une pleine effectivité.

Pour ce faire, le CSM doit pouvoir être doté de pouvoirs plus importants tant au stade de la nomination des magistrats qu’à celui de la gestion de leur carrière. Le ministère de la Justice ne devrait pas détenir de moyen de pression disciplinaire quelconque à l’égard des magistrats. 


[1] Les deux formations du CSM compétentes à l’égard du siège et du parquet sont actuellement chacune composée de 7 magistrats, de 6 personnalités extérieures qualifiées, d’un avocat et d’un conseiller d’Etat. 
[2] Il sera constitué par le vice-président du Conseil d’État, le président du Conseil économique, social et environnemental, le Défenseur des droits, le premier président de la Cour de cassation, le procureur général près la Cour de cassation, le premier président de la Cour des comptes et un professeur des universités