L’Assemblée nationale se prononce cet après-midi sur le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. La mise au jour, par plusieurs rapports sur l’affaire du Mediator, de conflits d’intérêts dans différentes instances et processus rendait urgente l’adoption de règles claires applicables à l’ensemble des acteurs concernés.
Si nous n’avons pas vocation à nous exprimer sur les dispositions concernant spécifiquement l’organisation de la santé et du médicament, nous soulignons en revanche l’intérêt de l’adoption par les députés de plusieurs dispositions fortes imposant la transparence des liens d’intérêts de l’ensemble des intervenants de la sécurité sanitaire ainsi que la publication des avantages consentis par les entreprises pharmaceutiques. Loin d’être réservées à la santé, les règles de ce projet de loi devraient inspirer celles en vigueur dans de nombreux autres secteurs.
Nous relevons aussi que le projet de loi comporte plusieurs dispositions plus exigeantes que celles que le gouvernement propose pour les ministres, leur cabinet et les hauts fonctionnaires, dans un autre projet relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, qui devrait également être débattu tout prochainement au Parlement.
Les dispositions prévues rejoignent certaines de nos recommandations pour prévenir les conflits d’intérêts dans la vie publique et garantir l’indépendance de l’expertise, notamment :
‐ la mise en place d’une déclaration publique d’intérêts pour l’ensemble des acteurs intervenant dans le champ de la santé (experts publics ou privés, personnels des agences et de l’administration, associations de patients notamment, professionnels de santé[1]) et de règles prévoyant des sanctions ;
‐ l’interdiction de prendre part aux délibérations et aux décisions en cas d’intérêt, direct ou indirect, lié à la question examinée. Ces décisions doivent être déclarées illégales si l’interdiction n’a pas été respectée ;
‐ la transparence des débats et des décisions des commissions ;
‐ la création d’une cellule de déontologie dans chaque agence ;
‐ la publication des accords financiers passés entre les entreprises pharmaceutiques et les professionnels de santé, les associations de patients, les autres associations, les organes de presse, les sociétés savantes… (« Sunshine Act à la française »)
La mise en œuvre concrète de ces dispositions doit être organisée et suivie
Lorsque des règles sont fixées, tout doit être mis en œuvre pour s’assurer qu’elles seront effectivement appliquées. L’affaire du Mediator a aussi montré que les mesures existantes pour prévenir les conflits d’intérêts étaient très insuffisamment appliquées et contrôlées[2].
Aussi, de réels moyens de contrôle et de sanction doivent être donnés aux organes qui seront chargés de veiller à l’application des nouvelles règles. Déjà, on peut s’inquiéter du fait que la création d’une structure ad hoc pour contrôler les déclarations d’intérêts n’ait pas été retenue, faute de moyens. Ce rôle sera dévolu à chaque institution à travers sa cellule de déontologie, mais sans garantie, pour l’instant, que l’information soit centralisée et facilement accessible aux citoyens, par exemple, via un portail Internet unique, alors qu’il était rappelé en Conseil des ministres du 31 août 2011 : « Le Gouvernement a engagé une politique ambitieuse d’ouverture des données publiques pour un Etat plus transparent. »[3]
La mise en œuvre concrète de ces dispositions restant soumise, ensuite, à l’adoption de près de 30 décrets en Conseil d’État[4], nous appelons par ailleurs le gouvernement et le législateur ainsi que l’ensemble des parties prenantes à rester très attentifs au risque de « détricotage » dela loi. Dans le domaine sanitaire, la loi dite « anti‐cadeaux » de1993 a vu sa portée largement affaiblie par un amendement nocturne et de dernière minute dont l’origine est demeurée incertaine. Enfin, on a pu le constater dans le cadre dela loi Grenelle II, c’est le lobbying qui s’exerce lors de la phase règlementaire qui affaiblit souvent la portée d’un texte et de son intention.
Pour être acceptables et utiles au débat démocratique, les démarches de lobbying qui seront forcément conduites en marge de l’élaboration de ces décrets, devront faire l’objet d’une transparence exemplaire, tant de la part des administrations que des groupes d’intérêts concernés.
[1] Dans le détail : membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ; dirigeants, personnels de direction et d’encadrement et les membres des instances collégiales, des commissions et conseils de l’ensemble des opérateurs du secteur sanitaire ; experts participant aux groupes de travail préparatoires aux commissions et conseils des autorités concernées.
[2] Comme le rappelle le rapport de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, « aussi bien les rapports du Sénat que de l’Assemblée nationale sur le Mediator soulignent les disparités dans l’application de la réglementation relative à la déclaration des liens d’intérêt : absence de mise à jour régulière ; manque de rigueur dans les déclarations ; manque de précision des modèles de déclaration publique d’intérêts. »
[3] Cf. circulaire du Premier ministre du 26 mai 2011, notamment, relative à la création du portail unique des informations publiques de l’Etat « data.gouv.fr »
[4] Par exemple : modèle et contenu de la déclaration d’intérêts (liens familiaux ou non), conditions dans lesquelles elle sera rendue publique, modalités de dépôt, d’actualisation et de conservation, nature des informations à déclarer pour les industriels, seuil à partir duquel les avantages doivent être rendus publics.