Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique: lettre ouverte à Lionel Jospin

Juste après sa nomination à la tête de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publiquenous avons adressé une lettre à Lionel Jospin pour lui rappeler nos propositions sur deux sujets centraux selon nous : d’une part, la fin du cumul des mandats et, d’autre part, le renforcement de l’éthique de la vie publique. Sur ce dernier point, nous lui avons signalé que, si des règles précises devaient être adoptées pour mettre fin aux conflits d’intérêts, il ne devait pas non plus oublier la question de l’encadrement du lobbying.                                                                                                               

Monsieur le Premier ministre,

Fondée en 1995, Transparence International France est l’antenne française de Transparency International, la principale organisation de la société civile qui se consacre à la transparence et à l’intégrité de la vie publique et économique.

Veuillez tout d’abord recevoir nos félicitations pour votre nomination à la tête de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique. Nous saluons la création de cette commission qui doit traduire en propositions concrètes les engagements pris par le Président de la République François Hollande et contribuer ainsi au rétablissement de la confiance des Français dans leurs institutions.

Parmi les sujets qui sont dans le mandat de la commission, deux retiennent tout particulièrement notre attention. D’une part, le cumul des mandats, qui constitue une singularité française et dont nous recommandons l’interdiction. Une telle mesure, qui permettrait d’éviter les conflits d’intérêts entre mandat local et mandat national et de favoriser le renouvellement de la classe politique, est d’ailleurs plébiscitée par 92% des Français[1]. D’autre part, des règles précises de déontologie sont indispensables pour mettre fin aux conflits d’intérêts dans la vie publique, mais aussi pour encadrer les relations entre les représentants d’intérêts et l’ensemble des acteurs de la décision publique.

Notre association travaille de longue date sur ces problématiques. Nous nous tenons donc à votre disposition et à celle des membres de la commission pour vous présenter nos travaux. Nous vous suggérons de vous appuyer sur notre rapport « Système national d’intégrité – France », publié en décembre 2011, que vous trouverez joint à ce courrier. Du Parlement au monde de l’entreprise, en passant par l’Exécutif et la Cour des comptes, ce rapport, qui nous a été commandé par la Commission européenne, passe en revue treize institutions au regard de leur indépendance, de leur transparence, de leur intégrité et de leur contribution à la lutte contre la corruption. Vous trouverez également ci-joint d’autres publications récentes de notre association ainsi que les engagements pris par François Hollande en réponse à nos 7 propositions.

Parmi les différentes propositions formulées par notre association, quatre domaines sont notamment prioritaires :

– Prévention des conflits d’intérêts. Notre association recommande de rendre obligatoire la publication de déclarations d’intérêts précises[2] par le Président de la République, les ministres, les élus, les hauts fonctionnaires ainsi que les membres de cabinets ministériels. Cette mesure doit s’accompagner de l’obligation de s’abstenir de participer à une décision publique en cas d’intérêts personnels liés à la question abordée.

– Encadrement du lobbying. Dans ce domaine, les règles ne doivent pas uniquement s’appliquer aux lobbyistes, mais viser également les acteurs de la décision publique (élus locaux et nationaux, membres du gouvernement, membres des cabinets ministériels et personnels de la haute administration). Nous proposons notamment de rendre publique la liste des personnes et organisations rencontrées ou consultées par les décideurs publics et de publier les positions reçues des acteurs ayant pris part au débat. Par ailleurs, des procédures de consultations publiques, ouvertes à l’ensemble des citoyens et organisations concernés par un débat en cours, doivent être mises en place.

– Fin du cumul des mandats. Les parlementaires et les membres du gouvernement ne doivent pas pouvoir exercer de mandat exécutif local[3] ni toute autre fonction de gestion ou d’administration dans une entreprise publique ou privée. Cette mesure pourrait par ailleurs être complétée par l’interdiction de toute activité professionnelle et/ou rémunérée pour les parlementaires tout au long de leur mandat[4].

– Introduire un contrôle citoyen. Enfin, l’application effective de ces règles déontologiques doit être assurée par une « Autorité de la déontologie de la vie publique », dotée des moyens nécessaires à sa mission. En cas de manquement, cette autorité doit pouvoir saisir la justice. Elle doit par ailleurs pouvoir être saisie par les citoyens pour toutes les questions relatives à la déontologie des ministres, des hauts fonctionnaires et des élus.

Veuillez enfin noter que nous organiserons en octobre prochain un colloque consacré à la contribution du Parlement en matière de moralisation de la vie publique auquel nous serions heureux de convier l’ensemble des membres de la commission.

Vous remerciant par avance pour l’attention que vous voudrez bien porter à nos propositions, je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma haute considération.

Daniel Lebègue
Président
Transparence International France

 


[1] Sondage IFOP pour Acteurs publics, 04 juin 2012

[2] Pour que ces déclarations aient une réelle utilité, elles doivent être plus précises que celles rendues publiques par les membres du gouvernement et doivent porter sur l’ensemble des fonctions et mandats occupés, actuellement ou au cours des cinq années écoulées, sur les revenus et avantages en nature tirés de ces activités, sur l’ensemble des participations financières ainsi que sur les activités et les intérêts détenus par les proches.

[3] Les mandats exécutifs locaux concernent, entre autres, les mandats de maire et adjoint au maire, président de conseil général, président de conseil régional, président d’un établissement public de coopération intercommunale.

[4] Sous réserve d’une discussion sur certaines professions, notamment médicales, qui nécessitent une continuité dans la pratique.

Déontologie des parlementaires : lettre à Claude Bartolone

Vendredi 6 juillet, nous avons adressé une lettre au nouveau Président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone pour l’encourager à mettre en oeuvre son engagement en faveur d’une Assemblée nationale « transparente, exemplaire, irréprochable ». Cette lettre était accompagnée du rapport Système national d’intégrité qui contient des recommandations pour y parvenir.                                                                                                                              
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,

Fondée en 1995, Transparence International France est l’antenne française de Transparency International, la principale organisation de la société civile qui se consacre à la transparence et à l’intégrité de la vie publique et économique.

Veuillez tout d’abord recevoir nos félicitations pour votre élection à la Présidence de l’Assemblée nationale. Parmi les nombreux défis qui se présentent aujourd’hui à notre pays, le renforcement du dispositif français de transparence et d’intégrité de la vie publique figure, vous le savez, parmi les plus importants et a fait l’objet d’engagements précis de la part du Président de la République. A cet égard, nous nous félicitons des positions fortes que vous avez prises pour une Assemblée nationale « transparente, exemplaire, irréprochable ».

Nous nous tenons aujourd’hui à votre disposition et à celle de vos pairs et collaborateurs pour échanger sur la mise en œuvre concrète de cet engagement. Nous souhaiterions notamment savoir si vous seriez disposé à accueillir dès l’automne prochain le colloque annuel de notre association qui sera consacré à la déontologie des parlementaires.

Pour progresser sur l’ensemble de ces sujets, nous vous encourageons à vous appuyer sur notre rapport « Système national d’intégrité – France » publié en décembre 2011, que vous trouverez joint à ce courrier.

Soutenu par la Commission Européenne, ce rapport constitue la partie française d’une étude conduite simultanément par 25 autres antennes de Transparency International en Europe. Il dresse un état des lieux inédit sur la lutte contre la corruption en France. Du Parlement au monde de l’entreprise, en passant par l’Exécutif, la Cour des comptes, les médias ou encore la société civile, treize institutions sont passées au crible au regard de leur indépendance, de leur transparence, de leur intégrité et de leur contribution à la lutte contre la corruption. Cette étude met notamment en évidence la trop faible implication de la plupart de nos institutions et notamment du Parlement.

Nous espérons que le rapport « système national d’intégrité – France » et ses recommandations contribueront à inspirer l’action de l’Assemblée nationale, pour enfin hisser notre pays au niveau des plus performants dans ce domaine. Notre récent rapport « Money, Politics, Power : corruption risks in Europe », qui compare les 25 rapports Système National d’intégrité montre en effet quela France accuse plusieurs retards significatifs par rapport à ses grands voisins européens. De cette action dépend en grande partie le rétablissement de la confiance des français dans leurs institutions.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

Daniel Lebègue
Président
Transparence International France

 

Déclarations d’intérêts : le Sénat ouvre la voie… mais du chemin reste à faire !

Les déclarations d’intérêts des sénateurs sont désormais accessibles sur le site Internet du Sénat. C’est la première fois que des parlementaires lèvent le voile sur les activités exercées parallèlement à leur mandat et sur les intérêts qu’ils détiennent. Jusque-là, ils s’y refusaient totalement. Comme l’a montré notre étude portant sur 25 pays européens publiée le mois dernier, la France était, avec la Slovénie, le seul pays où les déclarations de patrimoine et les déclarations d’intérêts des parlementaires n’étaient pas rendues publiques. L’initiative du Sénat mérite donc d’être saluée. Elle doit cependant être encore approfondie.

Tout d’abord, les déclarations d’intérêts doivent être plus facilement accessibles. Alors qu’il semblait logique qu’elles soient disponibles sur la fiche individuelle de chaque sénateur, il faut, pour y accéder, passer par la rubrique « Connaître le Sénat / Rôle et fonctionnement »[1]. Pour des organisations ou des citoyens peu familiers du site du Sénat, trouver la page recherchée est loin d’être évident.

Par ailleurs, les déclarations d’activités et d’intérêts des sénateurs ne permettent pas, en l’état actuel, de garantir que des intérêts personnels n’interviendront pas au cours du processus législatif. Alors que les déclarations d’intérêts des membres du gouvernement ont déjà montré leurs limites, celles publiées par les sénateurs sont encore moins précises. Seules doivent être déclarées les activités (professionnelles ou d’intérêt général) que le sénateur envisage de conserver ainsi que les participations financières supérieures à 15 000 €. Rien n’est demandé sur les activités exercées au cours des années précédentes, ni sur les revenus et avantages en nature tirés des activités et responsabilités exercées. Par ailleurs, le plafond des participations financières est largement supérieur à celui en vigueur pour les ministres (5000€). Il en résulte des rubriques vides pour la majorité des parlementaires. Rappelons que, sur ce sujet, la commission Sauvé ne fixait aucun seuil.

Les règles adoptées par le Bureau du Sénat en décembre 2011 prévoyaient également l’obligation pour les sénateurs de déclarer les invitations à des déplacements financés par des organismes extérieurs, ainsi que les cadeaux, dons et avantages en nature d’une valeur supérieure à 150 euros. Or, dans les déclarations mises en ligne, aucune rubrique n’y fait référence. Où donc ces éléments seront-ils déclarés ?

De même que pour les membres du gouvernement, les informations relatives aux proches (conjoints, descendants et ascendants) ne sont pas rendues publiques. Cependant, dans le modèle de déclaration utilisé par les ministres, ceux-ci pouvaient déclarer, volontairement, certains intérêts, notamment familiaux. Au Sénat, une telle option n’est pas envisagée. Il est dès lors impossible, pour les citoyens, d’identifier des risques de conflits d’intérêts liés aux proches. Une mesure simple permettrait de contourner le problème : instaurer l’obligation pour un sénateur ayant un intérêt personnel, direct ou indirect, de le déclarer publiquement et de s’abstenir de participer à la décision. Cette règle est en vigueur dans plusieurs pays comme, par exemple, au Royaume-Uni

Enfin, concernant les sanctions, la seule envisagée pour l’instant est la possibilité, pour le Bureau du Sénat, de décider de rendre publics les avis rendus par le Comité de déontologie du Sénat. Celui-ci peut être saisi par le Bureau ou le Président du Sénat en cas de situation susceptible de faire naître un conflit d’intérêts. Cela nous parait bien insuffisant. Dans notre rapport sur la prévention des conflits d’intérêts, nous recommandions des sanctions réellement dissuasives et, notamment, l’inéligibilité.  C’est ce que recommandait aussi la Commission Sauvé.

Il reste encore fort à faire pour que les conflits d’intérêts soient effectivement prévenus tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Celle-ci doit elle-aussi rendre publiques les déclarations d’intérêts des députés. Il s’agit-là en effet d’une condition essentielle pour que les élus parviennent enfin à regagner durablement la confiance des citoyens.


[1] Les déclarations sont disponibles uniquement au format PDF, qui est parmi les moins recommandés en matière d’Open Data.