Financement des partis politiques : le Sénat doit saisir l’occasion de renforcer le dispositif

Affaire Bygmalion, détournement des fonds d’un groupe parlementaire, enquête sur le financement d’un parti via la rémunération d’assistants parlementaires européens, prêt accordé par des institutions étrangères à un parti français… Certaines affaires récentes sont révélatrices des failles de notre système de financement de la vie politique.

Alors que la Commission des Lois du Sénat va examiner mercredi une proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale, nous appelons, dans un courrier adressé à l’auteur de cette proposition, à ouvrir le débat sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales.

>> Lire le courrier à Jean-Pierre Sueur

>> Nos recommandations sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales

Déontologie des fonctionnaires : Transparency International appelle à une mise en cohérence avec les lois de 2013

La Commission des lois se penche à partir de demain sur le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

L’objectif de ce texte est d’aligner le dispositif déontologique applicable aux fonctionnaires sur celui défini pour les élus et membres du Gouvernement dans le cadre des lois sur la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013. S’il comprend un certain nombre de dispositions bienvenues, le texte doit encore être renforcé sur plusieurs points, notamment sur les moyens alloués aux autorités de contrôle.  

Les principales innovations concernent :

  • l’adoption par les différentes administrations et juridictions de codes ou chartes de déontologie,
     
  • la nomination d’un référent déontologique dans chaque service de l’administration,
     
  • l’obligation, pour une liste d’agents publics définie par décret, de transmettre, avant leur nomination, une déclaration d’intérêts transmise ensuite au supérieur hiérarchique. Ces déclarations pourront être consultées par d’autres autorités, mais ne seront pas publiques,
     
  • l’obligation de déport pour tout agent public en situation de conflit d’intérêts,
     
  • l’obligation, pour les fonctionnaires les plus exposés, de transmettre, avant leur nomination, à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) une déclaration de patrimoine,
     
  • le renforcement du contrôle du pantouflage avec une saisine devenant obligatoire et l’allongement du délai d’auto-saisine,
     
  • la possibilité pour la Commission de déontologie de la fonction publique de procéder à un minimum de vérification (sans pour autant disposer d’un véritable pouvoir d’investigation) dans le cadre de sa mission de contrôle du pantouflage,
     
  • l’extension du périmètre de la loi de 2013 aux directeurs de cabinet des autorités territoriales.

Le dispositif reste cependant encore perfectible. Nous avons en effet relevé un certain nombre d’incohérences par rapport au dispositif adopté en 2013 :

  • La Commission de déontologie a des missions renforcées, notamment en matière de contrôle du cumul d’activités et de pantouflage, mais ses moyens ne le sont pas et elle ne dispose toujours pas de moyens d’investigation.
     
  • Pour le contrôle des déclarations de patrimoine, la HATVP n’a pas les mêmes pouvoirs (liens avec l’administration fiscale, pouvoir d’injonction…) que pour le contrôle des déclarations des élus et des ministres. En cas de doute sur l’évolution d’un patrimoine, elle transmet le dossier à l’administration fiscale (et non au parquet). La HATVP aura donc, à peu près, les mêmes moyens que l’ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique. Or, on avait bien vu l’inefficacité du contrôle mené par la CTFVP.
     
  • Aucune sanction n’est prévue en cas de déclaration incomplète, mensongère ou de non respect de l’obligation de se déporter ou de mettre fin à une situation de conflit d’intérêts. Concernant les déclarations de patrimoine, il n’est pas non plus précisé ce qu’il advient une fois que l’administration fiscale est saisie (moyens d’enquêtes, sanctions…). Ces absences risquent de réduire à néant le dispositif envisagé. Des sanctions, cohérentes avec celles prévues par la loi du 11 octobre 2013 [1], doivent dès lors être instaurées. 
     
  • Enfin, concernant la protection des lanceurs d’alerte, des dispositions contradictoires avec la loi du 6 décembre 2013 sur la lutte contre la grande délinquance financière (la plus complète) risquent d’annihiler le bénéfice de la loi. Il est dès lors nécessaire d’aligner ce projet de loi avec les dispositions de la loi du 6 décembre 2013.

Transparency International France invite les parlementaires à pallier ces insuffisances et d’assurer ainsi la pleine cohérence des dispositifs déontologiques applicables à l’ensemble des responsables publics français. 

Conflits d’intérêts, cadeaux, voyages à l’étranger : des règles éthiques à renforcer

L’émission Cash investigation consacrée hier à la diplomatie économique met en lumière un certain nombre de pratiques qui, si elles ne relèvent pas toutes du code pénal, risquent de détériorer encore un peu plus la confiance des citoyens envers leurs élus.

On y apprend ainsi que, lors de voyages officiels à l’étranger, certains élus peuvent se voir offrir de luxueux cadeaux par des États étrangers sans même en connaître la valeur exacte ou que d’autres y trouvent les fonds pour rénover le patrimoine de leur circonscription en échange d’un soutien à la promotion en France dudit pays.

Plus grave, l’émission revient sur l’affaire du « kazakhgate » qui fait aujourd’hui l’objet d’une instruction judiciaire ainsi que sur les soupçons de conflits d’intérêts liés au dépôt par une eurodéputée d’amendements au Parlement européen en faveur de l’industrie gazière et des pays du Caucase, grands exportateurs de cet hydrocarbure.

Cette dernière affaire, si elle est avérée, illustre les risques inhérents à l’exercice, par des élus, d’activités de conseil au profit d’intérêts privés. Ce risque est d’autant plus important lorsque le secret professionnel des avocats est invoqué pour ne pas citer le nom de ses clients dans sa déclaration d’intérêts. 

Rappelons que les déclarations d’intérêts rendues publiques sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) révèlent que 10 à 15% des parlementaires ont des activités privées annexes, dont une vingtaine pour qui ces activités génèrent des revenus supérieurs à 100 000 euros par an. 

Au Parlement européen, une étude de notre bureau à Bruxelles avait montré que 12 eurodéputés avaient des revenus annexes dépassant 10 000 euros par mois. Les déclarations étant moins détaillées que celles demandées par la HATVP, il est cependant impossible de connaître leur montant exact. Lorsqu’une activité privée génère autant de revenus, on peut légitimement se demander si le parlementaire a le temps d’exercer efficacement son mandat et si ses décisions sont réellement prises au nom de l’intérêt général.

L’interdiction d’exercer des activités de conseil en parallèle d’un mandat public ayant été jugée inconstitutionnelle, des règles déontologiques précises doivent être édictées afin d’éviter ce type de situations. Passage en revue de nos principales recommandations :

Publier la liste des cadeaux, invitations, voyages reçus par les élus et interdire les cadeaux au-delà d’un certain montant. Plusieurs collectivités, comme Paris ou Nantes, interdisent déjà aux élus d’accepter les cadeaux, libéralités et invitations d’une valeur supérieure à 150€ et à remettre tous les cadeaux d’une valeur inférieure à 150€ à la collectivité ;

Instaurer un plafond maximal pour la rémunération issue des activités annexes exercées par les parlementaires en parallèle de leur mandat ;

Déclarer le nom de ses clients et/ou les secteurs pour lequel des activités de conseil sont conduites. Le secret professionnel ne devrait plus pouvoir être invoqué comme le prévoit d’ailleurs la récente décision du Conseil national des Barreaux qui oblige désormais les avocats, ayant des activités de lobbying, à s’inscrire sur les registres des représentants d’intérêts et à dévoiler le nom de leurs clients. Un parlementaire (national ou européen) devrait faire de même dans sa déclaration d’intérêts ;

Généraliser la règle du déport en cas de conflit d’intérêts : les élus doivent déclarer oralement leurs intérêts et s’abstenir d’être nommés rapporteur d’un texte, de déposer des amendements ou de participer au vote sur le sujet concerné ;

Instaurer, au sein du Parlement européen, dans toutes les collectivités et administrations françaises, des organes de déontologie indépendants, chargés de veiller au respect de ces règles et pouvant prendre des sanctions en cas de manquement.  Ces organes devraient également avoir un rôle de conseil et de formation, en lien avec la HATVP.

Enfin, les entreprises et autres organisations ayant des activités de lobbying doivent s’interdire de recruter des anciens décideurs publics avant la fin du délai de carence prévue et de mandater ou rémunérer des personnes exerçant des responsabilités publiques pour représenter ou favoriser leurs intérêts.