Pour en sortir par le haut

Transparency International France est une association dont l’objectif est de contribuer à la réflexion et de mobiliser les citoyens sur les enjeux d’éthique de la vie publique. Si nous nous félicitons que ces sujets soient au cœur de l’actualité, nous vous proposons ici de prendre un peu de hauteur, en réfléchissant aux grands enjeux que soulèvent les débats publics actuels et aux solutions qui permettraient d’améliorer la transparence de la vie publique.

I. Employer un membre de sa famille comme collaborateur parlementaire : une pratique que la plupart des grandes démocraties ont bannie

Les parlementaires disposent d’un crédit budgétaire spécifiquement dédié à l’embauche de collaborateurs parlementaires, communément appelée « crédit collaborateurs ». Ces professionnels de la politique assistent et conseillent les députés et sénateurs dans l’exercice de leur mandat. Ils ne bénéficient d’aucun statut, et le parlementaire est le seul juge – ou presque – du bon usage de cette enveloppe budgétaire.

Dans ce contexte, il n’est pas interdit à un député ou un sénateur d’employer comme collaborateur parlementaire son ou sa conjoint(e), ses enfants, et plus généralement tout membre de sa famille. Or, cette pratique est relativement répandue en France. Selon notre outil Integrity Watch, cela concerne au moins un parlementaire sur six, chiffre probablement sous-estimé car il ne s’appuie que sur les données détectables (noms de famille communs).

Si cette pratique n’est effectivement pas illégale, elle nourrit les soupçons de complaisance. Pour y couper court et mieux prévenir les dérives, la plupart des grandes démocraties ont interdit aux parlementaires d’employer directement des membres de leurs familles. C’est notamment le cas au Parlement Européen (depuis 2009 pour les nouveaux contrats et depuis 2014 sans exception), aux Etats-Unis (lois anti-népotisme de 1967), ou encore en Allemagne (article 12.3 du Bundestag Parliament Act). En Suède, les députés du Riksdagen n’emploient pas directement de collaborateurs mais s’appuient sur des conseillers employés par leurs partis.

> Nos recommandations :

  • Interdire les emplois familiaux, afin d’aligner la France sur les standards des grandes démocraties.
  • Créer un statut des collaborateurs parlementaires, et clarifier les règles relatives à l’utilisation du crédit collaborateur.

II. La transparence : un levier pour prévenir les abus et favoriser le contrôle citoyen

« Les députés doivent agir dans le seul intérêt de la nation et des citoyens qu’ils représentent, à l’exclusion de toute satisfaction d’un intérêt privé ou de l’obtention d’un bénéfice financier ou matériel pour eux-mêmes ou leurs proches. ». Ainsi est rédigé l’article premier du code de déontologie de l’Assemblée nationale. Si l’actualité conduit parfois à douter de la pleine application de ce principe, la transparence est un puissant levier pour remettre de la confiance dans les rapports entre citoyens et élus.

Par exemple, il n’existait aucune transparence sur l’identité des collaborateurs parlementaires employés par les députés et les sénateurs jusqu’en 2013. Les citoyens ne pouvaient pas savoir qui était rémunéré via cette enveloppe du crédit collaborateur. Depuis la loi sur la Transparence de la Vie Publique de 2013, les parlementaires doivent remplir une déclaration d’intérêts, qu’ils remettent à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Cette déclaration, rendue publique sur le site de la HATVP, inclut désormais la liste des collaborateurs parlementaires. Ceci constitue un réel garde-fou. Mais il reste encore des efforts à faire. En particulier, les déclarations d’intérêts des parlementaires ne sont pas toutes à jour, même s’ils ont l’obligation de signaler à la HATVP toute « modification substantielle » dans un délai de deux mois.

Quant aux dépenses des parlementaires, celles-ci ne sont soumises à aucun contrôle. Chaque député reçoit une enveloppe de 5770€ bruts, destinée à couvrir ses frais de mandat, comme la location d’une permanence parlementaire ou les frais de communication. On ne peut que saluer la décision du Bureau de l’Assemblée nationale, en 2015, d’interdire l’achat de permanence parlementaire via cette enveloppe parlementaire. Malgré cette avancée, ces dépenses ne sont pas transparentes et ne font l’objet de pratiquement aucun contrôle. N’est-il pas temps de nous inspirer de nos voisins britanniques, qui publient sur une plateforme en ligne et en données ouvertes les dépenses de leurs parlementaires, de sorte que les citoyens peuvent savoir comment l’argent public est dépensé ?

> Nos recommandations :

III. Un effet collatéral du cumul des mandats ?

Le montant du crédit collaborateur permet à un député d’employer environ trois collaborateurs dans son équipe, avec des salaires moyens qui ne sont pas excessifs. Ces moyens sont-ils nécessaires, et suffisants ? La réponse à cette question nous renvoie à celle du cumul des mandats.

Lorsqu’un député cumule sa fonction avec un mandat de maire, il dispose déjà de collaborateurs dans sa collectivité. Dans le même esprit, pourquoi louer une permanence parlementaire, alors que les citoyens peuvent consulter leur député-maire en mairie ? En effet, le non-cumul des mandats, dans le temps et dans l’espace, favorise l’adéquation des moyens mis à disposition des parlementaires avec la réalité de leurs fonctions.

> Nos recommandations :

IV. Prévenir les conflits d’intérêts

En principe, un parlementaire peut conserver une activité professionnelle. Par exemple, certains parlementaires médecins ou agriculteurs continuent d’exercer leur profession parallèlement à leur mandat. Toutefois, pour garantir l’indépendance des parlementaires, la loi prévoit un certain nombre « d’incompatibilités ». C’est le cas, notamment, des activités de conseil : depuis 1995, le code électoral interdit à un parlementaire de « commencer à exercer une activité de conseil qui n’était pas la sienne avant le début de son mandat ».

Mais le Conseil constitutionnel considère qu’on ne peut pas interdire à un parlementaire d’exercer une activité de conseil, y compris de conseil en affaires publiques ou lobbying, dès lors que celle-ci a été commencée avant le début de son mandat. Il en va de même pour la profession d’avocat.

Cette situation peut être source de conflits d’intérêts, et nourrit les soupçons de complaisance.

Un premier pas dans le sens d’un meilleur contrôle citoyen a été fait en 2013. Depuis la loi sur la transparence de la vie publique, les parlementaires doivent remplir une déclaration d’intérêts et de patrimoine qu’ils transmettent à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Cela permet de savoir quelles sont les entreprises dans lesquelles le parlementaire a des intérêts, et de connaître les revenus annexes que touche le parlementaire. Ces informations sont d’ailleurs recensées sur notre site integritywatch.fr.

Toutefois, les citoyens ne peuvent pas connaître en détail pour quels clients et pour quelles missions le parlementaire a exercé une activité de conseil rémunérée. Il n’est donc pas possible d’exercer un contrôle citoyen effectif sur les potentiels conflits d’intérêts qui en découleraient.

> Nos recommandations :

  • Imposer la transparence des activités de conseil (y compris d’avocat-conseil) exercées par les parlementaires en marge de leurs mandats, et renforcer l’encadrement des incompatibilités des parlementaires
  • Renforcer le rôle des déontologues du Parlement
  • Mieux encadrer le lobbying[1] ;
  • Rendre public les déclarations de patrimoine des parlementaires

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Retrouvez-nous sur Twitter : @TI_france – #Transparence2017

[1] Cette recommandation fait partie des onze recommandations sur lesquelles nous avons demandé aux candidats à la présidentielle de s’engager

Paris met en ligne les déclarations d’intérêts et de patrimoine de ses conseillers

La Ville de Paris vient de mettre en ligne, sur le site paris.fr, une page dédiée à la Commission de déontologie. Cette commission a été créée en novembre 2014, conformément aux engagements pris par Anne Hidalgo pendant la campagne électorale, en réponse aux propositions de notre association. 

Chargée de veiller à l’application du code de déontologie de la Ville de Paris et pouvant apporter conseils déontologiques aux élus, la Commission reçoit les déclarations d’intérêts que doivent lui transmettre l’ensemble des conseillers de Paris. Les conseillers peuvent lui transmettre, de manière facultative, leur déclaration de patrimoine. 

Ces déclarations sont désormais publiques et consultables sur la page de la Commission : cliquer ici.

Si l’ensemble des 163 conseillers ont remis une déclaration d’intérêts – toutes rendues publiques -, 58% (95 conseillers) ont également transmis une déclaration de patrimoine et 34% d’entre eux ont accepté qu’elle soit publiée. 

5 présidents de régions s’engagent pour la transparence

A l’occasion des élections régionales 2015, nous avions contacté plus de 100 têtes de liste pour leur demander de prendre des engagements sur 7 propositions de nature à renforcer la transparence et l’éthique de la vie publique au niveau régional. 

 >> Bilan des engagements pris par les candidats

Au sein des 13 nouvelles régions, 5 candidats qui avaient pris des engagements viennent d’être élus à la tête des exécutifs régionaux : 

* Marie Guite Dufay s’est engagée par le biais d’un envoi de sa charte éthique

Parmi les engagements pris, on retient notamment :

– la décision de Valérie Pécresse de démissionner de son mandat de député. Si François Bonneau, Marie-Guite Dufay et Alain Richert n’exercent aucun mandat parlementaire, Alain Rousset a, en revanche, annoncé qu’il ne démissionnerait pas de son mandat de député ;

– Valérie Pécresse et Alain Rousset se sont engagés à mettre en place un dispositif spécifique pour encadrer le lobbying auprès des élus régionaux, notamment par la création d’un registre des représentants d’intérêts comme il en existe à l’Assemblée nationale ;

– Tous souhaitent faire adopter une charte de déontologie. Philippe Richert et Valérie Pécresse s’engagent à aller plus loin avec la création d’un poste de déontologue/comité de déontologie ;

– en matière de prévention des conflits d’intérêts, tous se sont engagés à instaurer la publication, par tous les élus du conseil régional, de déclarations d’intérêts et de faire respecter l’obligation de déport en cas de conflit d’intérêts ;

– enfin, presque tous se sont engagés à participer à l’expérimentation de la certification des comptes de la région et au développement d’un portail open data. 

Afin de tenir informés les citoyens de la mise en oeuvre de ces engagements, nous allons, avec nos bénévoles, faire le suivi de ces engagements. Comme nous le faisons dans le cadre du suivi des engagements pris lors des municipales 2014, nous rendrons compte sur ce blog du dialogue que nous avons avec ces élus et publierons les initiatives engagées sur ces questions. En effet, notre objectif est d’identifier et valoriser les meilleures pratiques observées.

Les autres présidents de régions doivent eux aussi s’engager

Les présidents des 7 autres régions métropolitaines et de Corse n’ont pas pris d’engagements à ce stade : Xavier Bertrand (LR – Nord-Pas-de-Calais-Picardie), Carole Delga (PS – Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées), Christian Estrosi (LR – Provence-Alpes-Côte d’Azur), Jean-Yves Le Drian (PS – Bretagne), Hervé Morin (NC – Normandie), Bruno Retailleau (LR – Pays de la Loire), Gilles Simeoni (nationaliste – Corse) et Laurent Wauquiez (LR – Auvergne-Rhône-Alpes).  

Nous continuerons à promouvoir auprès d’eux ces 7 propositions. D’autant que trois d’entre eux (Xavier Bertrand, Christian Estrosi et Hervé Morin) ont déjà annoncé qu’ils renonçaient à leur mandat parlementaire respectant d’ores et déjà notre première proposition.  

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Interpellez aussi vos élus !
 
Quelle que soit la collectivité qu’ils représentent (intercommunalités, conseils généraux, régionaux, sociétés d’économie mixtes…), tous les élus doivent s’engager ! Nous avons développé un ensemble d’outils devant permettre aux citoyens de demander à leurs élus de prendre eux-aussi des engagements.
 
>> Découvrez nos outils pour encourager les élus à être exemplaires