Les déclarations d’intérêts des sénateurs sont désormais accessibles sur le site Internet du Sénat. C’est la première fois que des parlementaires lèvent le voile sur les activités exercées parallèlement à leur mandat et sur les intérêts qu’ils détiennent. Jusque-là, ils s’y refusaient totalement. Comme l’a montré notre étude portant sur 25 pays européens publiée le mois dernier, la France était, avec la Slovénie, le seul pays où les déclarations de patrimoine et les déclarations d’intérêts des parlementaires n’étaient pas rendues publiques. L’initiative du Sénat mérite donc d’être saluée. Elle doit cependant être encore approfondie.
Tout d’abord, les déclarations d’intérêts doivent être plus facilement accessibles. Alors qu’il semblait logique qu’elles soient disponibles sur la fiche individuelle de chaque sénateur, il faut, pour y accéder, passer par la rubrique « Connaître le Sénat / Rôle et fonctionnement »[1]. Pour des organisations ou des citoyens peu familiers du site du Sénat, trouver la page recherchée est loin d’être évident.
Par ailleurs, les déclarations d’activités et d’intérêts des sénateurs ne permettent pas, en l’état actuel, de garantir que des intérêts personnels n’interviendront pas au cours du processus législatif. Alors que les déclarations d’intérêts des membres du gouvernement ont déjà montré leurs limites, celles publiées par les sénateurs sont encore moins précises. Seules doivent être déclarées les activités (professionnelles ou d’intérêt général) que le sénateur envisage de conserver ainsi que les participations financières supérieures à 15 000 €. Rien n’est demandé sur les activités exercées au cours des années précédentes, ni sur les revenus et avantages en nature tirés des activités et responsabilités exercées. Par ailleurs, le plafond des participations financières est largement supérieur à celui en vigueur pour les ministres (5000€). Il en résulte des rubriques vides pour la majorité des parlementaires. Rappelons que, sur ce sujet, la commission Sauvé ne fixait aucun seuil.
Les règles adoptées par le Bureau du Sénat en décembre 2011 prévoyaient également l’obligation pour les sénateurs de déclarer les invitations à des déplacements financés par des organismes extérieurs, ainsi que les cadeaux, dons et avantages en nature d’une valeur supérieure à 150 euros. Or, dans les déclarations mises en ligne, aucune rubrique n’y fait référence. Où donc ces éléments seront-ils déclarés ?
De même que pour les membres du gouvernement, les informations relatives aux proches (conjoints, descendants et ascendants) ne sont pas rendues publiques. Cependant, dans le modèle de déclaration utilisé par les ministres, ceux-ci pouvaient déclarer, volontairement, certains intérêts, notamment familiaux. Au Sénat, une telle option n’est pas envisagée. Il est dès lors impossible, pour les citoyens, d’identifier des risques de conflits d’intérêts liés aux proches. Une mesure simple permettrait de contourner le problème : instaurer l’obligation pour un sénateur ayant un intérêt personnel, direct ou indirect, de le déclarer publiquement et de s’abstenir de participer à la décision. Cette règle est en vigueur dans plusieurs pays comme, par exemple, au Royaume-Uni.
Enfin, concernant les sanctions, la seule envisagée pour l’instant est la possibilité, pour le Bureau du Sénat, de décider de rendre publics les avis rendus par le Comité de déontologie du Sénat. Celui-ci peut être saisi par le Bureau ou le Président du Sénat en cas de situation susceptible de faire naître un conflit d’intérêts. Cela nous parait bien insuffisant. Dans notre rapport sur la prévention des conflits d’intérêts, nous recommandions des sanctions réellement dissuasives et, notamment, l’inéligibilité. C’est ce que recommandait aussi la Commission Sauvé.
Il reste encore fort à faire pour que les conflits d’intérêts soient effectivement prévenus tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Celle-ci doit elle-aussi rendre publiques les déclarations d’intérêts des députés. Il s’agit-là en effet d’une condition essentielle pour que les élus parviennent enfin à regagner durablement la confiance des citoyens.
[1] Les déclarations sont disponibles uniquement au format PDF, qui est parmi les moins recommandés en matière d’Open Data.
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