[RAPPORT] 2022 / 2027 : 5 ANNÉES POUR PARACHEVER LA RÉVOLUTION DÉONTOLOGIQUE DU PARLEMENT

[RAPPORT] 2022 / 2027 : 5 ANNÉES POUR PARACHEVER LA RÉVOLUTION DÉONTOLOGIQUE DU PARLEMENT

Alors que les nouveaux équilibres politiques à l’Assemblée nationale devraient consacrer le retour du Parlement au cœur du jeu politique, Transparency international publie ses recommandations pour parachever la révolution déontologique du Parlement engagée lors du mandat précédent. Renforcement du contrôle de l’utilisation des frais de mandat, encadrement de la reconversion professionnelle des députés, amélioration de la transparence du lobbying et de la prévention des conflits d’intérêts… des propositions qui ont pour but d’améliorer encore l’exemplarité et la probité des parlementaires et de clarifier les dernières zones d’ombre mises en évidence par des « affaires » impliquant des élus des deux assemblées au cours des cinq dernières années.

Le début de la XVème législature avait été marqué par la médiatisation tonitruante d es lacunes du Parlement en matière d’intégrité, à la suite de la révélation de l’affaire Fillon durant la campagne présidentielle de 2017. Transparency International France avait alors apporté sa contribution en formulant le 22 mai 2017 six recommandations pour remédier à ces lacunes, et avait appelé à transformer sans attendre le Parlement en une « maison de verre ».

Cinq ans plus tard, ces risques sont en grande partie neutralisés : à la faveur de la Loi pour la Confiance dans la vie politique, la réserve parlementaire a été supprimée, les emplois familiaux ont été interdits et les frais de mandat ont été largement réformés et font l’objet d’un contrôle systématique. Des chantiers au long cours ont également enregistré des progrès substantiels : la politique de données ouvertes a pris son essor, le rôle du déontologue à l’Assemblée et du comité de déontologie parlementaire au Sénat s’est affirmé, le réflexe déontologique s’est développé chez les parlementaires même s’il manque encore d’intensité, l’encadrement des interventions des représentants d’intérêts ne constitue plus un sujet tabou.

Ce bilan déontologique encourageant ne doit pas donner l’impression que le travail est terminé. Le statut général des collaborateurs parlementaires reste flou, les activités annexes des parlementaires sont encore trop peu encadrées et insuffisamment transparentes, les reconversions professionnelles des parlementaires ne sont pas encadrées, le budget du Parlement reste opaque, et le contrôle des frais de mandat pourrait être amélioré. Les quelques cas médiatiques récents d’utilisation irrégulière de frais de mandat ou de reconversions professionnelles problématiques démontrent que des marges de progrès subsistent pour conclure la révolution déontologique du Parlement.

Un impératif d’autant plus évident que les nouveaux équilibres politiques issus des dernières élections législatives devraient mettre fin au déclin de l’influence du Parlement face à l’exécutif, et rendre son exemplarité d’autant plus indispensable. Transparency France transmet ce jour ses recommandations aux présidents des deux assemblées, aux présidents des commissions permanentes et aux présidents de groupe, au déontologue de l’Assemblée nationale, aux membres du comité de déontologie du Sénat ainsi qu’à l’ensemble des décideurs publics pouvant agir pour l’avènement d’un Parlement pleinement exemplaire. Il restera alors à l’Exécutif à faire son Aggiornamento.


NOS PRINCIPALES PROPOSITIONS

1. Pour les anciens parlementaires, interdire pendant une durée d’au moins un an l’exercice d’activités de lobbying auprès du Parlement

Aujourd’hui, les parlementaires ne sont soumis à aucune obligation légale ou déontologique relative à leur reconversion professionnelle après la fin de leur mandat, contrairement à l’ensemble des autres responsables publics (élus locaux, agents publics, membres du gouvernement…) qui doivent obtenir une validation de l’administration avant tout projet de reconversion dans le privé. Pourtant, des cas récents de reconversion de parlementaires en tant que lobbyiste soulèvent des questions déontologiques. Rien n’empêche en effet qu’un ex-parlementaire devenu lobbyiste démarche ses anciennes relations au Parlement pour défendre les intérêts privés qu’il représente désormais.

Les seules incompatibilités qui sont applicables aux parlementaires s’appliquent durant leur mandat, et elles cessent dès que celui-ci prend fin. Une nouvelle incompatibilité a ainsi été créé en 2017 :  l’interdiction d’exercer des activités de lobbying en parallèle d’un mandat parlementaire.

Transparency France propose donc d’étendre cet encadrement déontologique pendant une durée d’au moins un an après la fin du mandat parlementaire, et ce seulement pour les actions de lobbying visant le Parlement. Ce modèle est déjà appliqué aux Etats-Unis, et son extension en France est souhaitable dans un contexte où les reconversions professionnelles de parlementaires vers des fonctions de lobbying se multiplient.

2. Publier en open data l’utilisation faite par les parlementaires de leur Avance de Frais de Mandat (AFM)

Pour garantir le bon exercice de leurs fonctions, il est légitime que les frais de mandat des parlementaires soient pris en charge par différentes enveloppes. L’une d’entre elle est l’Avance de frais de mandat (AFM), qui a remplacé en 2018 l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Elle s’élève à un montant mensuel de 5 373 euros pour les députés et 5900 euros pour les sénateurs.

Avant 2018, l’IRFM n’était pas suffisamment contrôlée et cela a pu conduire à des détournements à des fins d’enrichissement personnel, ou de financement de partis politiques. D’importants progrès ont été obtenus durant la dernière législature pour y remédier, avec un renforcement des contrôles et l’établissement d’un référentiel détaillé des dépenses autorisées. Pourtant, quelques dérives minoritaires persistent, ce qui démontre que la réforme n’est pas tout à fait achevée.

La touche finale de l’encadrement des frais de mandat que défend Transparency France est la transparence. En effet, seule la publication en « open data » des dépenses effectuées par les parlementaires au titre de leurs frais de mandat permettrait de garantir la confiance des citoyens dans le bon usage de ceux-ci. Plusieurs exemples démontrent que cette transparence est possible. Ainsi, durant la dernière législature, quelques députés ont publié volontairement le détail de l’utilisation de leurs frais de mandats. A l’étranger, la transparence est déjà la règle au sein du Parlement britannique ou états-unien. Il serait donc souhaitable d’en faire de même en France pour achever enfin la réforme des frais de mandat.

3. Rendre obligatoire la publication des rendez-vous avec des représentants d’intérêts pour les présidents de commission, rapporteurs et coordinateurs de groupe politique

Le lobbying peut avoir sa place dans l’exercice de la démocratie parlementaire, à condition qu’il soit transparent, intègre et équitable. Or, la transparence du lobbying au Parlement reste insuffisante malgré des avancées durant la dernière législature. Quelques parlementaires ont en ainsi pris l’initiative de sourcer leurs amendements lorsque ceux-ci émanaient d’une proposition formulée par un lobby, ou de publier leurs rendez-vous avec des lobbyistes. Ces pratiques restent néanmoins minoritaires et elles doivent être généralisées.

Transparency France défend donc la mise en œuvre d’une obligation de publication des rendez-vous des parlementaires avec des lobbyistes, ou représentants d’intérêts, au moins pour les parlementaires occupant les fonctions essentielles de rapporteur, président de commission permanente ou coordinateur de groupe politique (« whip » ou « shadow rapporteur »). Cette obligation est déjà en application au Parlement européen depuis 2019, et elle s’applique également aux membres du gouvernement britannique.

4. Plafonner la rémunération issue des activités professionnelles annexes à 50 %, ou moins, du montant de l’indemnité parlementaire

Si les parlementaires ont l’obligation éthique de se consacrer pleinement à leur mandat, ils peuvent parfois légitimement souhaiter conserver une activité professionnelle annexe lorsque celle-ci ne tombe pas sous le coup d’une incompatibilité légale. Néanmoins, ces activités professionnelles annexes peuvent constituer une source de conflits d’intérêts, et ont mené dans certains cas à des procédures pénales pour corruption ou trafic d’influence. Il est donc nécessaire de les encadrer pour limiter l’intensité des potentiels conflits d’intérêts qui peuvent en découler.

Transparency France propose donc de plafonner à 50% de l’indemnité parlementaire, ou moins, les revenus issus d’une activité professionnelle annexe. Cette limitation s’applique déjà pour les parlementaires états-uniens, à hauteur de 15% de l’indemnité parlementaire, et elle limite les risques sans dispenser pour autant d’un travail de réflexion déontologique et d’un éventuel déport ou déclaration orale des intérêts en cas de conflit d’intérêts.

5. Imposer une actualisation annuelle de la déclaration d’intérêts, et publier les déclarations de patrimoine des parlementaires

Depuis 2013, les parlementaires doivent fournir une déclaration d’intérêts à la HATVP. Celle-ci est contrôlée, puis publiée en ligne. Elle vise notamment à garantir la transparence sur les activités professionnelles annexes qui peuvent être conservées par les parlementaires, ou leurs collaborateurs, afin d’éviter les conflits d’intérêts. Si les parlementaires ont l’obligation légale de mettre à jour cette déclaration en cas d’apparition d’un nouvel intérêt, nouvelle activité annexe ou changement dans l’équipe des collaborateurs parlementaires, cette obligation est peu respectée.

Afin de garantir que les données des déclarations d’intérêts soient à jour, Transparency France propose donc d’introduire une obligation de mise à jour annuelle de celles-ci. C’est d’ailleurs ce qui est déjà imposé aux experts sanitaires depuis la loi du 29 décembre 2011 relative à la sécurité du médicament : ceux-ci doivent actualiser leur déclaration d’intérêts avant toute participation à un travail d’expertise.

Cette mise à jour doit s’accompagner d’une meilleure appropriation par les parlementaires des outils de prévention dont ils disposent en cas de conflit d’intérêts : la déclaration orale des intérêts préalable à la participation à un débat, ou le déport total dans les cas les plus extrêmes.

Par ailleurs, les parlementaires doivent également fournir depuis 2013 une déclaration de patrimoine à la HATVP, en début et en fin de mandat afin que celle-ci puisse vérifier l’absence d’enrichissements suspects ou de comptes en banque non déclarés. Cette déclaration n’est néanmoins pas publiée en ligne, et elle est seulement accessible pour une consultation physique en préfecture. Afin de garantir la confiance, Transparency France propose donc que cette déclaration soit obligatoirement publiée en ligne, comme c’est déjà le cas pour les membres du Gouvernement.

6. Créer un statut de droit privé pour les collaborateurs parlementaires par un accord collectif précisant les tâches que ceux-ci peuvent effectuer pour leur député employeur

Les parlementaires peuvent salarier, avec une enveloppe financée par le Parlement, une équipe de collaborateurs parlementaires afin de les assister dans l’exercice de leur mandat. Les missions que ces parlementaires peuvent exercer sont néanmoins mal définies, ce qui peut mener à des cas de détournement de fonds publics en cas d’emploi fictif, ou de financement illégal de la vie politique en cas de travail exercé au bénéfice d’un parti et non à celui du parlementaire. Par ailleurs, les collaborateurs parlementaires peuvent également exercer des activités professionnelles annexes, et celles-ci peuvent être sources de conflit d’intérêts. Or, il n’existe aujourd’hui aucunes obligations déontologiques permettant de les prévenir mise à part l’interdiction, créée en 2017, d’exercer une activité de lobbying en parallèle de ses fonctions de collaborateur.

Il est donc nécessaire d’encadrer davantage ces emplois. Pour cela deux solutions existent : la solution de droit privé ou celle de droit public. C’est la première qui a été privilégiée durant la législature qui vient de s’achever, avec des débuts de négociations entre les syndicats de collaborateurs et l’association des parlementaires-employeurs. Ces négociations n’ont néanmoins pas encore abouti, et Transparency France espère qu’elles pourront être conclues durant cette nouvelle législature avec l’établissement d’un accord collectif précisant les tâches pouvant être effectuées par un collaborateur pour son élu-employeur, et la création d’une charte de déontologie du collaborateur parlementaire permettant d’encadrer les conflits d’intérêts déontologiques.

7. Créer un ensemble de règles précises et un contrôle renforcé pour les dépenses de la présidence des deux assemblées

Les présidences de l’Assemblée et du Sénat disposent d’un budget pour assurer notamment les frais de réception ou de représentation de leurs présidents respectifs. Les dépenses autorisées au titre de ces frais sont néanmoins imprécises, et elles s’inscrivent dans un budget du Parlement qui reste encore trop opaque aujourd’hui, et dont le contrôle interne peut s’avérer insuffisant. Durant la dernière législature, l’ancien président de l’Assemblée nationale François de Rugy a ainsi dû démissionner de ces fonctions au Gouvernement en raison de frais contestés. Cette affaire n’était pas la première de ce type à se produire, et elle pourrait se répéter à l’avenir si aucune amélioration n’est apportée.

Transparency France recommande donc d’établir un référentiel précis pour les frais pouvant être engagés par les présidences des assemblées, notamment pour les frais de réception, sur le modèle du travail qui a déjà été réalisé pour les frais de mandat des parlementaires ou pour les frais de représentation de certains élus locaux.

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